J’habite dans une grosse dame!

Bouboule. Baleine. Grosse pouffe. Gros cul. Tas de gras. Boudin inbaisable. Ces mots vous choquent ? Ou pas. Ce qui est pire. Les gros(ses) semblent être le dernier « groupe humain » que l’on peut insulter, rabaisser à l’envi, mépriser ouvertement sans que la société ne s’en indigne. Que faire pour changer les mentalités ? Comprendre que derrière ces mots, il y a aussi des personnes. Nous en avons rencontré certaines. Elles ont accepté de témoigner. À poids et prénom découverts. Chroniques de la grossophobie ordinaire en Nouvelle-Calédonie. Tu t’es vu quand t’es grosse ? 

Par C. Idoux

« Tu manques de volonté ». « Bouge ton cul ». « Vous êtes une mauvaise image pour l’entreprise ». Mais qu’est ce que les grosses ont fait à cette société ? Maltraitées par le monde du travail. Jugées par la famille, leurs amis et leurs connaissances. Hors des diktats de la mode. Hors cadre. Hors normes. Hors tout ! Jugées à l’emporte-pièce pour leur apparence. Les femmes ont déjà du mal à s’en sortir. Qu’est ce que c’est alors quand on est grosse ?

Nous sommes allées à la rencontre de ces femmes qui dépassent les préjugés. Se battent parfois deux fois plus pour imposer leurs aptitudes, faire que paradoxalement elles existent pour la société alors que, ironie du vocabulaire, on ne les considère plus que comme des personnes qui « pèsent » sur la société, le système de santé, ou tout simplement « pollue la plage ».

 

GROSSE. ET ALORS ?

« Si seulement la grossophobie commençait à la taille 52 vous voulez dire « , s’exclame Jacqueline avec amertume. Pour la société, on est obèse dépassé la taille 40 ! J’adore quand quelqu’un me faire remarquer que je suis grosse. J’ironise en répondant “à ben mince, je ne m’en étais pas aperçue toute seule Et alors ? Cela vous pose un problème dans votre quotidien ?” Je suis ce que je suis, je ne demande à personne son avis. »

Jacqueline est une ronde qui s’assume et n’aime pas le mot grosse. « Il y a aujourd’hui quelque chose de “sale” dans ce mot. J’aime ce que je dégage et mon harmonie. Je fais une taille 48 depuis mes 20 ans. J’en ai 62 aujourd’hui, je ne vais pas maigrir dans la nuit ! »

Jacqueline a suivi néanmoins le programme proposé par l’Agence Sanitaire et Sociale de Nouvelle-Calédonie (ASSNC), une semaine de réflexion, discussion autour du surpoids afin de mieux identifier les pièges de l’alimentation, mais aussi et surtout cernés les freins psychologiques, quand il existe. Car la principale composante de l’obésité est psychologique avant tout.

« Moi je cumule, rit Laurence. Non seulement je suis grosse, mais en plus je suis noire ! J’ai cherché du travail. Longtemps. J’ai eu des entretiens téléphoniques qui se sont super bien passés. Et puis quand je me suis présentée, le discours était tout à coup différent. Je suis esthéticienne, vous imaginez pour l’image ! J’ai fini par prendre une patente. » D’aussi loin qu’elle se souvienne, Laurence a toujours été grosse. « Bouboule comme m’appelait la maitresse en sixième. Devant toute la classe. Tranquille. Ça les faisait bien rigoler. Moi cela m’a marqué. Je me suis enfermée dans mon mal-être. Et vous voulez savoir le pire ? Je n’avais que 10 kilos en trop à l’époque… Quelle injustice. À cet âge-là, faites-vous traiter comme de la merde et vous finissez par le devenir ! »

 

CHIRURGIE BARIATRIQUE, LA SEULE SOLUTION ?

À 135 kilos, 30 ans et 3 enfants, Laurence a décidé d’en finir avec ses rondeurs qui ne l’ont pourtant « jamais gênée. J’ai subi une sleeve il y a trois mois. Je le regrette déjà même si j’avoue que moins 30 kilos ce n’est pas négligeable. Mais je suis fatiguée en permanence. Je crois que j’ai négligé l’impact psychologique d’une telle intervention sur moi-même et mes enfants ! De toute façon médicalement je ne pouvais plus continuer à grossir ».

La sleeve, c’est cette fameuse opération où l’on vous retire une partie de l’estomac et qui est la promesse d’un amaigrissement rapide. En Nouvelle-Calédonie, elle a été pratiquée sur des centaines de personnes. Elle a son lot de réussites, mais elle n’est hélas et surtout que le reflet de l’échec des politiques publiques et de toutes les mesures de prévention, surtout quand cette dernière n’est pas pratiquée dans le cadre pour lequel elle a été prévue : une obésité morbide (IMC supérieur ou égale à 40*) engageant le pronostic vital à plus ou moins court terme, et non la solution miracle qui incite certaines à prendre du poids pour bénéficier ensuite de la prise en charge de la CAFAT.

Ce ne sont pas les « sleevés » qui doivent aujourd’hui se sentir mal ou culpabiliser, mais bien ces professionnels qui vantent cette opération comme la solution ultime, jusqu’à ce qu’une nouvelle technique vienne la remplacer.

 

GARDER L’ESTIME DE SOI

Il en va de même pour ces gens qui ont un regard très critique que ce soit sur les personnes obèses « elle mange comme 4 pas étonnant qu’elle soit énorme », « du sport et de la volonté, y a que ça de vrai ».

Le parcours de Naïa est révélateur. « Il ne mettait jamais venu à l’idée de penser que la sleeve eut été une solution de facilité, et encore moins que j’avais fait preuve de lâcheté et de manque de courage durant ces dernières années et pourtant, il m’arrive encore parfois, au détour d’une conversation, d’avoir ce sentiment. ».

À 27 ans, la jeune femme choisit de faire une sleeve après avoir atteint le poids de 148 kilos. « CHT, chirurgie ambulatoire, 1 an de suivi avec le médecin, le psychologue, et surtout cette prise de conscience que mon poids n’est pas celui de la culpabilité, mais que c’est une maladie et que seule je ne peux pas le vaincre. 3 années après, -70 kilos au compteur, je revis et j’enchaine avec la chirurgie réparatrice », encore remboursée à l’époque ! Et puis, il y a 2 ans de cela, c’est de nouveau la claque. Sa balance s’emballe et elle voit l’aiguille montée doucement, mais surement.

PAS DE RETOUR EN ARRIÈRE

Après la colère, le découragement, il faut du temps pour s’en remettre. « On m’avait dit que ça ne serait pas irréversible, ce que je n’accepte pas en revanche, c’est qu’on ne sache pas pourquoi. Un coup c’est le stress, un coup c’est mon métabolisme, la réflexion de trop vient de ce même chirurgien qui m’avait opéré quelques années plus tôt “quand on est gros, on est gros ! » Le pire pour moi, c’est qu’avec mes 70 kilos en trop, certes mon corps ne me convenait pas, mais au moins il me semblait harmonieux. Aujourd’hui après une chirurgie du ventre et des cuisses, j’ai l’impression d’être déformée, une véritable paupiette. » Les yeux rient, mais la souffrance est là.

Très vite vient l’idée reçue qu’elle n’a pas fait d’efforts, qu’on a gâché et du temps, et pire encore de l’argent « Tu te rends compte, t’as eu de la CHANCE de faire une sleeve, ça

coute 3 millions à la CAFAT et toi… » Sous-entendu, tu balances tout ce fric par la fenêtre, non, mais presque le trou de la CAFAT c’est de TA faute.

Pour Sarah en revanche, « à 1m50 pour 110 kilos, la sleeve a été une véritable renaissance. Avant d’en arriver là, j’ai fait un long chemin psychologique, tenter l’hypnose, la sophrologie, etc. J’ai toujours eu conscience que mon problème était surtout psychologique. Ensuite quand on dépasse un certain poids, les chiffres ne représentent plus rien. On finit par détacher son cerveau de son estomac. On n’a plus de sensation de faim, de satiété… Je me supportais plus, j’ai donc fait une sleeve et je ne regrette rien. Je n’ai eu aucune séquelle ». Avec 50 kilos demoins, Sarah est une femme heureuse, mais pas vraiment bien dans sa peau. Problème, devant le nombre conséquent de sleeves engagées sur le territoire, il devient difficile de bénéficier d’une prise en charge idoine pour la chirurgie réparatrice.

PRÉDISPOSITION GÉNÉTIQUE ?

Conscient de la difficulté de la prise en charge des personnes en surpoids, et pas uniquement après une sleeve, le syndicat des médecins libéraux de Nouvelle-Calédonie a fait venir fin septembre deux spécialistes français de la question. L’idée : avoir une approche plus constructive et efficiente de l’obésité dans notre pays, où le surpoids se porte souvent comme une fierté, jusqu’à ce queles problèmes interviennent. L’épidémie mondiale, la stigmatisation arrive pourtant jusqu’à nous. Des titres de reportage comme « La Montée des Gros », ou des écrits dans la presse locale comme « ce tas de graisse… » ne représentent pas une approche idéale, loin de là.

Pour le Dr Jean Michel Lecerf, endocrinologue, spécialiste des modes alimentaires, « il n’y a pas une obésité, mais des obésités. À partir du moment où on aura plus de réflexions sur le pourquoi, on pourra peut-être envisager de changer les choses ». L’obésité est une maladie, « même si le plus souvent, c’est perçu comme un statut, un état ».

Pour une grande majorité de la population, dans une sorte de paresse intellectuelle collective, les « obèses » constituent aujourd’hui une catégorie à part entière qui, s’ils

appliquaient un ensemble de règles simples, pourraient s’en sortir facilement. « Or, on sait par expérience que les faciles régimes ne sont malheureusement pas du tout la bonne voie et à moyen terme, les conséquences seront inverses. Il faut mettre en garde contre les marchands de régimes », qui enferment gros rentrent dans un cercle vicieux.

L’obésité s’installe pour des raisons multiples et nous ne sommes pas égaux devant cette maladie. « En matière de santé, rien n’est juste ! Non pas comme une excuse, mais comme une raison supplémentaire de s’en occuper. Il y a des gens qui ont tendance à grossir plus que les autres. Sans doute ici en Nouvelle-Calédonie, certaines ethnies sont plus exposées que d’autres à prendre du poids. Pour autant pendant longtemps elles n’en ont pas pris. La génétique ne peut pas tout expliquer ».

L’irruption d’une alimentation facile, qui paraît bon marché, à notre disposition, agréable peut prendre les gens au piège. Pour autant, l’alimentation abondante ne veut pas dire obésité. Ajouter à cela une sédentarité considérable qui a fait denous des « victimes consentantes » sont les deux facteurs globaux.

Le Dr Gérard Apfeldorfer, président du GROS, Groupement de Réflexion pour l’Obésité et le Surpoids, insiste quant à lui sur la nécessité aujourd’hui dans un pays comme le nôtre de ne pas reproduire les schémas de lutte contre l’obésité qui ont conduit d’autres pays à l’échec. « Il faut une nouvelle approche. Dans 90 % des cas, l’efficacité d’un régime amaigrissant ne dépasse pas trois ans, quel que soit le type de régime.  » Pour ces médecins experts du GROS, « Si l’on mange ce que l’on mange aujourd’hui c’est aussi parce qu’il y a beaucoup de facteurs autres qui nous font perdre la régulation intuitive de notre alimentation. Stress, manque de sommeil, facilitation des transports… Tous ses éléments ont rendu le comportement alimentaire différent. L’une des pistes est donc de retrouver le 

chemin de l’alimentation intuitive ».

 

L’ALIMENTATION INTUITIVE

« En premier lieu, il faut s’enlever de l’idée que la prise de poids est due à une consommation spécifique d’aliments gras et sucrés. La prise de poids est uniquement due à unesurconsommation calorique globale », explique Gérad Apfeldorfer. L’anxiété et la culpabilité alimentaires entravent souvent ce que l’on appelle les « processus physiologiques », à savoir la faim, la satiété, le contentement. Elles conduisent à des pertes de contrôles qui aboutissent in fine à plus d’obésité. « En clair, il est évident que si vous diabolisez des aliments, gras ou succès, vous ne pourrez pas réussir. Il faut manger en écoutant ses sensations alimentaires, sans se restreindre. » C’est l’alimentation intuitive. Celle qui reconnecte votre cerveau à votre estomac. Manger sur un mode intuitif permet de favoriser la variété alimentaire, élément d’équilibre nutritionnel et de bonne santé. « Il est aussi important de lutter contre l’hégémonie de la minceur qui conduit à privilégier une alimentation diététisante, à pratiquer des régimes amaigrissants, qui aboutissent au final à des dérèglements alimentaires et des prises de poids sur le long terme ».

La size acceptance, l’acceptation de son poids, est aussi une étape importante, parfois douloureuse, mais qui permet aussi de faire la paix avec ce corps que bien souvent on a dumal à vivre. « Je dis souvent que j’habite dans une grosse dame, explique Alix. Il y a longtemps que j’ai déconnecté mon cerveau de mon corps, c’est une erreur que je tente de réparer aujourd’hui ».

En France, avec cette approche, le surpoids et l’obésité se sont stabilisés ces dix dernières années, mais touchent toujours la moitié de la population adulte, comme en Nouvelle-Calédonie. Les chiffres restent cependant élevés. Paradoxe et effet pervers de la prévention, la maigreur augmente pour atteindre 13 % chez les jeunes filles de 11 à 14 ans. Une maigreur non pathologique qui ne relève pas de l’anorexie. Là encore, une histoire au final de size acceptance et de conditionnement parental. Naïa raconte : « Il y a quelques mois de cela, je me baladais avec ma meilleure amie, et une gamine d’environ 6 ans interpelle sa mère en lui disant tout haut “maman regarde, elles sont GROSSES !”. Mon amie a eu la plus belle réponse à mon sens “Oui, mais nous au moins, on se trouve BELLE !” Parce qu’au final c’est ça l’important, se trouver belle et bien dans sa peau, tout simplement ».

*indice de masse corporelle

DISCRIMINATION À l’EMBAUCHE

Et puis il y a cette remarque récurrente. Celle du manque de volonté. « C’est une remarque que j’adore, comme quand on me dit “tu as un beau visage”, raconte Caroline. Qu’est ce que vous croyez ? Qu’il ne faut pas de volonté pour affronter chaque matin le regard des gens ? Qu’il ne faut pas de volonté, de la ténacité pour décrocher un boulot quand on sait que ce sont les premières secondes et la première impression qui comptent. Vous pouvez avoir le plus beau des CV. Si vous êtes obèse, il sera marqué au fer rouge ! »

 

LA SIZE ACCEPTANCE

Née aux États-Unis dans les années 70, la Size Acceptance (Acceptation des gros) est un mouvement ayant connu en France un développement similaire en 1989 avec la comédienne Anne Zamberlan, alors égérie des Virgin Megastore. Elle créée l’association Allegro Fortissimo qui perdure aujourd’hui et aide les personnes en surpoids à identifier et parler de leurs difficultés au quotidien. La discrimination et la stigmatisation des personnes “fortes” sont quotidiennes. Accès à des lits et du matériel médical adaptés. Problème dans les transports, au cinéma, dans les restaurants. Discrimination à l’embauche. L’obésité peut rapidement devenir un cercle vicieux. Je suis forte à la société me rejette à je m’exclue à je trouve refuge dans la nourriture. Paradoxalement, la démarche pour se sentir mieux et arriver à un poids acceptable pour sa santé et dans l’acceptation de soi en tant que personne forte ou obèse. Le vivre mieux, pour accepter de changer. En Nouvelle-Calédonie, il n’existe à ce jour aucune association de ce genre. Dans un pays qui compte pourtant la moitié de sa population en surpoids.

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