On apprend à s’aimer ?

« Envers soi-même, on n’est jamais que très aimable ou très grossier. » Sacher-Masoch*, maître du fouet et de la punchline. Moderne malgré lui, il met en lumière un mal qui court au 21e siècle : l’intransigeance dont nous faisons preuve envers nous-même. Stop aux claques et accordons-nous un peu d’indulgence, octroyons-nous de la compassion.

Relativisons un peu… beaucoup !

L’exigence avec soi-même, une tare ? Pas forcément : nous avons tous un potentiel souvent inexploité, qu’il n’appartient qu’à nous de faire fructifier via les efforts adéquats. Tout dépend de notre capacité à ajuster cette exigence à nos ambitions et à nos capacités. Autrement dit, si vous avez le sentiment de porter le poids du monde à longueur de journées, tout en culpabilisant sans relâche de ne pas suffisamment bien faire, vigilance : c’est le signal d’une dissonance qui devrait vous alerter et vous engager à faire une pause pour faire le point et vous remettre en phase avec le monde réel.

Car il faut remettre les choses dans leur contexte : nous sommes des mammifères issus de nos lointains cousins unicellulaires procaryotes* il y a presque 4 milliards d’années, évoluant sur une grosse boule filant à plus de 100 000 km/h autour du Soleil, au sein d’une galaxie qui héberge plus de 200 milliards d’étoiles comme la nôtre. Personne ne vous a fourni le mode d’emploi, et vous faites du mieux que vous pouvez sur un grain de poussière lancé dans une course folle au milieu du vide intersidéral. Prenez trente secondes pour vous faire un tableau de la situation. Alors, on a le vertige ?

En clair, vous méritez bien un peu de compassion envers vous-mêmes, parce que c’est l’attitude la plus réaliste à adopter une fois que vous prenez réellement conscience de votre environnement et votre place dans le monde.

La biochimie de l’auto-compassion

Commençons par une bonne nouvelle : notre corps est déjà câblé pour l’auto-compassion. La nature est bien faite, et nous disposons de toute une gamme d’agents chimiques et hormonaux pour nous soutenir dans ce réalignement avec nous-mêmes, telles qu’en témoignent la présence de deux molécules particulièrement à l’œuvre dans le cerveau : l’ocytocine et la dopamine, dont les circuits chimiques sont si archaïquement ancrés dans nos structures que nous les partageons à l’identique avec d’autres espèces aussi éloignées que le homard !

L’ocytocine, c’est cette substance que nous produisons quand nous serrons quelqu’un très fort dans nos bras. Au bout de quelques secondes à ce régime, une vague de douceur et d’empathie nous envahit, et nous nous retrouvons d’une certaine façon connectée à l’autre. Ainsi, le soin et la tendresse accordée à autrui s’accompagne d’une libération d’ocytocine qui favorisera la compassion. Cette réaction chimique est valable quand on accorde de l’attention à un proche, un enfant ou un ami ; alors pourquoi pas à soi-même ? Il est temps de se considérer comme un être qui vous est cher, dont vous êtes responsables, et pour lequel vous souhaitez le meilleur.

La dopamine, quant à elle, active les circuits de la récompense et de la motivation, et nous pousse à nous dépasser. D’une manière plus fondamentale encore, elle est intimement liée au sentiment d’être sur la bonne voie, de trouver du sens à ce que nous faisons. La dopamine rend aussi plus compatissant et équitable envers les autres, preuve s’il en est que même au niveau biologique, compassion, motivation et sentiment d’être à sa place s’articulent en étroite collaboration.

C’est bien beau tout ça, mais… on commence par quoi ?

Kristin Neff est professeur de psychologie à Austin (Texas). Dans son livre S’aimer, Neff propose 8 exercices que vous pouvez également retrouver sur son site Internet (disponible uniquement en anglais). Belle en a retenu trois.

Exercice 1 : se traiter comme un ami

La psychologue propose d’écrire deux lettres ici. La première pour un ami dans le besoin, qui a besoin de votre empathie. La seconde est pour vous, en vous remémorant une situation difficile que vous avez vécue. Souvent, la compassion dont vous savez faire preuve pour un proche s’efface quand la situation vous concerne. La pratique de cet exercice s’inscrit dans l’idée qu’il est logique de se traiter soi-même comme on traiterait un ami.

Exercice 2 : écrire un journal d’auto-compassion

Pendant une semaine, écrivez chaque jour dans un journal d’auto-compassion. Il est prouvé que revenir par écrit sur des situations émotionnellement riches est un excellent moyen de purger des émotions, et donc d’améliorer le bien-être mental et physique. Passez en revue les événements de la journée, et posez sur le papier ce qui vous a fait mal, quand vous vous êtes senti jugée, ou toute autre expérience difficile.

Exercice 3 : changer votre dialogue intérieur

L’autocritique comme facteur de motivation ? Mauvaise idée. Si une saine dose de lucidité est nécessaire, le fait d’être dure envers soi-même n’est pas la meilleure des tactiques. Dans un premier temps, identifiez chez vous ces sujets d’autocritique, et ressentez la douleur émotionnelle que vous vous causez en vous critiquant ainsi. Puis portez soin à cette souffrance, comme vous le feriez pour un parent ou un ami proche, en la considérant avec tendresse et empathie. Enfin, imaginez quels mots vous utiliseriez pour aider autrui de manière positive et constructive, lui signifier que son comportement est improductif, et l’encourager à faire les choses différemment.

La compassion (du latin : cum patior, « je souffre avec » et du grec συμ πἀθεια , sym patheia, sympathie) est une vertu par laquelle un individu est porté à percevoir ou ressentir la souffrance d’autrui, et poussé à y remédier.

* notre culture est sans limite (et notre humour aussi)

Prêt à vous aimer ?

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