Femmes, au boulot !

Il s’agit de l’un des sujets les plus clivants en matière de droit social. Les femmes au travail souffrent-elles de discrimination ? Inégalité salariale, discrimination à l’emploi, harcèlement sexuel… Quelle est la réalité du quotidien des femmes dans l’entreprise en Nouvelle-Calédonie ? Belle enquête.

Par G. Perrier & C. Idoux

Le 10 avril dernier, la Province Sud organisait un séminaire sur le thème de l’égalité professionnelle. Conclusion ? Elle existe bien dans la constitution et le Code du travail, mais beaucoup moins dans la réalité. La Nouvelle-Calédonie a adhéré à la plupart des conventions ratifiées par la France en termes d’égalité salariale, avec notamment la loi de 1951 sur l’égalité de rémunération ou celle concernant la discrimination (1958).

Le Code du travail calédonien va encore plus loin dans son deuxième chapitre : « L’appartenance à un sexe ne doit pas être pris en considération pour le recrutement – sauf si l’appartenance à l’un ou l’autre sexe constitue une condition déterminante de l’exercice de l’activité professionnelle –, la relation de travail et les salaires ».

Pour finir sur l’aspect législatif, le harcèlement sexuel et/ou moral est pénalement répréhensif et les futures mères sont protégées de la discrimination durant une grossesse par les articles Lp.126.1 et suivants.

Retour terrain

Tout cela est bien joli, mais dans les faits ? Au quotidien ? Cela donne quoi ? « Quand j’avais 28 ans, j’ai passé un entretien d’embauche pour un poste à responsabilité dans une grosse entreprise, se souvient Mélanie. Mon CV tenait la route, c’était la suite logique de mes expériences professionnelles passées. Le recruteur m’a posé toutes les questions typiques des entretiens. Tout allait à la perfection. Si bien qu’à la fin, on a même discuté de nos vies personnelles. Enfants, sans enfants, mariée, pas mariée… Je n’ai pas réalisé tout de suite ce qui venait de se passer. Sous couvert d’une conversation légère, le recruteur avait découvert que j’étais mariée, que je n’avais pas d’enfant. Rajoutez à cela que j’avais 28 ans : je suis donc la candidate idéale pour un congé maternité dans les mois qui arrivent. Techniquement, il n’a pas agi contre la loi. Techniquement, je n’ai aucune preuve. Techniquement, un candidat bien plus compétent que moi a pu avoir ce travail. Mais le doute plane. »

S’il est impossible de prouver quoi que ce soit dans le cas de Mélanie, les chiffres fournis par l’IDC-NC, eux, sont parlant. En 2016, 62 % des étudiants étaient des femmes et 54 % était en recherche d’emploi.

« Bien qu’elles soient plus diplômées, elles sont moins souvent en emploi et davantage en recherche d’emploi que les hommes, constate Magda Bonal-Turaud, à la tête de la Direction du Travail et de l’emploi sur le site du gouvernement. Je reste convaincue que cette situation trouve en partie son origine dans la persistance de stéréotypes dans les recrutements : la femme serait plus souvent absente que l’homme en raison de la maternité [ou des enfants…, NDLR] ; les hommes seraient plus compétents et plus disponibles… »

Les filles portent du rose

Les stéréotypes. Ces fichus stéréotypes : « Maman à la cuisine, papa au travail ou en train de lire son journal ». Non, une femme ne veut pas forcément devenir mère, non, une femme ne va pas jeter à la poubelle ses dossiers parce que son petit dernier à la goutte au nez. Les pères prennent aujourd’hui des congés pour s’occuper des enfants malades. « Ma femme gère une entreprise, explique Romain. Je suis salarié et mon employeur offre des congés maladies pour les enfants. Le plus logique est donc que ce soit moi qui prenne ma journée pour m’occuper de notre fille. Par contre, si j’ai une réunion importante ou un dossier tendu, ma femme prend le relai. On s’entraide. Elle n’a pas à porter le poids des charges familiales. On est deux. »

Douces paroles, de plus en plus répandues d’ailleurs, mais qui pourtant ne chassent pas le stéréotype de la « working mom » qui ne s’investit pas assez dans l’entreprise.

Le congé maternité est aussi une lourde charge pour les femmes. D’où l’importance de l’extension du congé paternité. « Mon employeur m’a offert quatre jours pour me marier, se remémore Romain. J’en ai eu deux pour accueillir ma fille. C’est le monde à l’envers. J’ai pris des vacances, mais j’aurai aimé rester dans mon cocon bien plus longtemps. » En conclusion : le travail sur la législation de la parentalité est loin d’être terminé.

Quant aux stéréotypes de genre dans certains métiers, ils ont la vie dure. Que ce soit pour les hommes ou pour les femmes d’ailleurs. Qui n’a pas tiqué en voyant arriver un maïeuticien (sage-femme masculin) ? Mais au-delà du simple fait de ne « pouvoir » exercer un métier en raison de son genre, le combat des femmes se trouve surtout dans la valorisation de leur travail.

Maman gagne-t-elle autant que papa ?

Si l’écart entre le salaire d’un homme et d’une femme en France est de 15,2 %, en Nouvelle-Calédonie, les chiffres sont différents. Une étude sur les salaires a été réalisée en 2015 par l’observatoire de l’Institut pour le développement des compétences (IDC-NC)1. Entre mars et juillet 2015, 6 652 entreprises ont reçu un questionnaire et 2 324 (39 %) y ont répondu. Soit 26 855 salariés représentant 416 métiers différents.

Les résultats sont très inattendus. En prenant l’ensemble des salariés (en équivalent temps plein), en 2015, les femmes touchent un salaire moyen de 295 007 francs tandis que les hommes sont à 304 375 francs. Soit 9 368 francs d’écart (3,2 %). En 2011, l’écart était de 613 francs seulement. L’explication est simple : l’augmentation salariale semble avoir favorisé les hommes.

Autre chiffre intéressant : le salaire médian2. Dans ce calcul, celui de la femme est supérieur de 8,9 % (+ 24 000 francs). Miracle ? Pas réellement. Cette différence s’explique par une triste constatation. Un certain nombre d’hommes reçoit des rémunérations très élevées, mais il existe en revanche moins de femmes à des postes à très hauts revenus.

D’ailleurs, lorsqu’on ne considère que les cadres, les hommes gagnent 17,8 % de plus que les femmes, soit 81 313 francs. Ces écarts s’accentuent à mesure que les niveaux s’élèvent. Un phénomène étrange étant donné que les femmes sont plus diplômées que les hommes, toujours selon cette même étude. Les chiffres s’inversent pour les non-cadres, même si l’écart est moins contrasté. 1,9 % sur le salaire moyen, en faveur des femmes et 10,4 % pour le salaire médian.

Y’a encore du boulot…

Conclusion : la Nouvelle-Calédonie doit encore travailler dur pour atteindre une égalité salariale entre les hommes et les femmes mais contrairement à la France, elle est plus avancée dans ce sens. En Hexagone, à la même époque, la différence de salaire entre un homme et une femme est de 18,5 %. Le Caillou doit par contre travailler sur la place de la femme dans ses hiérarchies. « J’ai récemment reçu le bilan social d’une banque dans lequel il apparaît que 70 % de l’effectif est féminin, que 16 % d’entre elles occupent un emploi de cadre, contre 41 % chez les hommes », dénonce Magda Bonal-Turaud sur le site du gouvernement.

Attention toutefois à ne pas sauter sur une conclusion trop hâtive comme quoi la femme est exploitée. Les chiffres de salaire moyen ou de salaire médian restent insuffisants à témoigner de la situation, puisque par définition il s’agit d’un calcul qui gomme toutes les nuances. Ce qui serait intéressant, c’est de voir si une femme gagne moins qu’un homme à niveau de compétences, de présence, etc. égal. Cela demanderait une analyse multi-variables, plus longue à réaliser et moins facile à médiatiser qu’un chiffre unique. C’est pourtant à ce niveau qu’une différence constatée est sanctionnable par la loi.

Dans les études multi-variables d’autres pays, on constate par exemple que les femmes sont en moyenne moins agressives à la négociation, et donc moins enclines à demander des augmentations. Ou encore que les femmes font plus le choix de temps partiel. Ou encore que les femmes sont moins attirées par les postes de cadre de haut niveau, qui exigent un rythme de vie bien plus contraignant.

Mais c’est l’histoire de l’œuf et la poule : sont-elles moins attirées parce que la pression sociale les enjoint à rester à la maison… ou bien parce qu’elles sont plus intelligentes que les hommes et estiment que ce n’est pas une vie de bosser 70 heures par semaine ? On aurait tendance à voter pour la deuxième, non ?

Les mains en évidence

Autre discrimination dans le monde du travail qui laisse moins la place au questionnement : le harcèlement sexuel. S’il peut atteindre des hommes, la plupart des victimes sont féminines.

Voilà comment il est défini par la loi (du 17 octobre 2011) du Code du travail : le harcèlement sexuel est constitué par « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui portent atteinte à la dignité de la personne en raison de leur caractère dégradant ou humiliant […]. Est assimilée à du harcèlement sexuel toute forme de pression grave, même non répétée, dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle […] » (article Lp. 115-1). Sur le plan civil, il est passible d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement et pénalement, les sanctions peuvent aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 5 369 850 F d’amende.

En Nouvelle-Calédonie, le sujet est peu évoqué car les délinquants en col blanc sont peu dénoncés, de peur des représailles. La plupart des femmes victimes de ces actes préfèrent démissionner plutôt que de dénoncer. « Mon associé m’a fait de nombreuses avances avant de m’embrasser de force. J’ai porté plainte mais l’affaire n’a pas été portée devant la justice », se rappelle douloureusement Tiffany. Au final, la jeune femme a dû quitter l’entreprise qu’elle avait créée, de peur d’avoir affaire à son ancien associé.

En Nouvelle-Calédonie, le sujet est peu évoqué, car les délinquants du « back office » sont peu dénoncés, de peur des représailles. La plupart des femmes victimes de ces actes préfèrent démissionner plutôt que de reporter les faits à la justice. Sonia* par exemple n’a jamais été jusqu’à porter plainte. « Il ne m’a pas touché, mais tous les jours, il me faisait des réflexions sur mes vêtements et me posait des questions embarrassantes sur ma vie privée. Je ne suis pas partie comme une voleuse, mais je savais qu’il fallait que je m’en aille vite avant que ça ne dérape ». Le problème est plutôt évident : une histoire de « il dit, elle dit ». Comment prouver la véracité des propos sans preuve tangible ? Sans témoin ? Les femmes sont souvent seules face à ces prédateurs.

« Mon associé m’a fait de nombreuses avances avant de m’embrasser de force. J’ai porté plainte, mais l’affaire n’a pas été portée devant la justice » se rappelle douloureusement Tiffany. Au final, la jeune femme a dû quitter l’entreprise qu’elle avait créée, de peur d’avoir affaire à son ancien associé.

La vie n’est pas rose pour les femmes au travail, mais une amélioration est tout de même à noter. Les inégalités salariales sont toujours présentes, mais en Nouvelle-Calédonie, elles ont tout de même l’avantage d’être moindres. Les stéréotypes sont également bien ancrés, mais l’ouverture de certaines filières (BTP par exemple) aux femmes pourrait aussi les gommer dans le futur. Quant au harcèlement au travail, il est hélas le reflet d’une société qui « objectifie » le sexe dit « faible ». Ni les lois ni les manifestations ne pourront vraiment changer les choses dans le présent. Par contre, elles pourront certainement changer le futur. Elles le doivent. Nous aussi.

1 – Étude disponible sur le site de l’IDC NC
2 – Salaire médian : salaire tel que la moitié des salariés de la population considérée gagne moins et l’autre moitié gagne plus. Il se différencie du salaire moyen qui est la moyenne de l’ensemble des salaires de la population considérée.

 


On se dit rendez-vous dans 150 ans ? Même heure, même salaire

 2011 : Selon l’organisme européen Eurostat, l’écart de salaire entre les Français et les Françaises est de 15,7 % en défaveur des femmes.

 2016 : L’écart est de 15,2 %.

Mieux disons-le, mais pourtant insuffisant. Et comme le disent les Glorieuses, communauté féministe, créatrice du #6novembre11h44, « à ce rythme-là nous devons attendre 150 ans pour arriver à une égalité. Soit 2168. »


La femme et le travail, toute une histoire

La première chose qui étonne lorsqu’on recherche des informations sur le rapport de la femme et du travail depuis la nuit des temps, c’est que la plupart des conférences, des livres ou des articles ne remontent pas avant le 19e siècle. En effet, avant la grande industrialisation, la société était constituée de milliers de petites communautés auto-suffisantes où tout le monde se connaissait.

Si la société était patriarcale historiquement, des recherches (bien cachées) montrent que les femmes y disposaient d’un pouvoir très important, particulièrement dans le monde rural. Pas d’égalité pour autant mais une dépendance mutuelle des deux genres. Les femmes travaillaient, assignées à des tâches aussi ardues que les hommes mais différentes. Et pour finir, afin de démanteler les plus gros clichés de cette époque, des historiens ont prouvé que les femmes du village étaient à l’origine des alliances et des mariages. Et non l’inverse.

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