L’amour, le sexe et les ados

Cinquante ans après la révolution sexuelle, où en est celle des ados calédoniens ? Maladies, sentiments, pornos, désinformation, absence de connaissances… Les ados du 21e siècle font-ils (encore)
le rapprochement entre sexe
et sentiments ?
Par G. Perrier

Pour nos ados, le sexe est-il totalement dédramatisé, voire banalisé ? Positions sexuelles renouvelées lors de chaque rapport, sextos, quickies et lieux insolites, l’adolescence est-elle toujours l’âge de toutes les expérimentations ?

Un premier constat qui interpelle : il n’existe pas d’études sur ce sujet. En 2010, l’ASSNC (Agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie) a publié un simple questionnaire réalisé trois ans plus tôt auprès des adolescents. Plus récemment en 2018, la Province Sud a fini par lancer une grande enquête sur les jeunes dont les résultats n’ont toujours pas été rendus publics.

Alors, comment en savoir plus sur les ados et leur sexualité en 2019 ? Tout simplement en allant à leur rencontre, en les écoutant. Et surtout, en parlant avec des professionnels.

À poil nommé

À commencer par le commencement : la puberté. Ce moment « joyeux » où le petit garçon et la petite fille deviennent des « adultes ». Ou des brouillons d’adultes. Il ne faut pourtant pas attendre selon les spécialistes cette phase de l’enfance pour établir avec votre « pré-ado » des relations de confiance sur la question. Au mieux, il vous écoute. Au pire, il vous envoie balader, vous et votre « sexualité de vieux qui ne comprend rien ».Chez les filles, elle commence en moyenne vers 11 ans et se caractérise par le développement des seins bien sûr, la transformation progressive de la vulve, l’arrivée des poils pubiens, des règles… La puberté dure en moyenne six ans. « En CM2, à mon époque, il y avait une seule fille qui était formée dans ma classe, se souvient Jenna, 35 ans. Quand j’ai commencé à amener mon enfant à l’école, j’ai découvert qu’une grande majorité des filles étaient en pleine transition dès le primaire. » La communauté scientifique constate en effet une avancée du début de la puberté.

En 2018, le CP2S a distribué 66 736 préservatifs et 34 tests de grossesse, pour la plupart négatifs.

Les garçons, eux, migrent vers la masculinité à partir de 12 ans. Les premiers signes ? L’augmentation de la taille des testicules, puis du pénis, l’apparition de la pilosité pubienne et celles des aisselles, la mue de la voix. En dernier arrive la barbe. Dès lors que la puberté entre en œuvre, la sexualité entre dans le champ de vision du pré-ado. Son intérêt pour le sujet s’accroît de façon exponentielle. Mais vers qui se tourne-t-il pour comprendre les changements qui lui arrivent ? Le mieux placé, le CP2S. Le Comité de promotion de la santé sexuelle et affective œuvre depuis déjà plusieurs années au chevet de la sexualité de nos ados afin de les guider (au mieux) vers une sexualité assumée, épanouie et sans danger. Voilà sur le papier. La réalité est tout autre.
Le CP2S intervient régulièrement au sein des collèges et des lycées pour des séances d’informations sur la santé affective et les dangers d’une sexualité non protégée et mal informée.
Pour Amélie Gauquelin, directrice opérationnelle, le premier danger est la désinformation. « Un quart des enfants se tournent vers leurs parents pour trouver des informations en termes de contraception, de protection. Mais plus de la moitié demandent à leurs amis. Or, si ces derniers n’ont pas les bonnes infos, des fausses croyances circulent et c’est la spirale infernale. » Sans oublier ceux qui n’osent pas se tourner vers quelqu’un et préfèrent surfer sur le web : le porno.

Le porno, éducateur malgré lui

À l’origine, le cinéma pornographique avait pour but de « divertir », de laisser les fantasmes s’incarner sur un écran de télévision. Depuis l’avènement de l’Internet, des smartphones, des ordinateurs, le porno gratuit est en libre circulation, accessible partout, tout le temps. En tapant juste « porno » sur Google, vous atteignez 1,2 milliard derésultats.
En rajoutant « gratuit », on tombe, certes, à 162 millions, mais le « choix » reste vaste. Imaginez : un adolescent, écrasé par le poids des hormones en ébullition, désireux de découvrir la vie, « la vraie », a la bonne idée de le faire sur Internet.

Il lui suffit de certifier sur l’honneur qu’il a bien 18 ans. Un adolescent ment déjà à ses parents, ce n’est pas un ordinateur sans vie, sans âme qui va le stopper.

Que va-t-il apprendre sur la sexualité ? « Des clichés. Des lieux communs. Une certaine violence aussi, déplore Amélie Gauquelin. En 2018, nous avons produit 5 vidéos sur les contre-vérités du porno afin de les diffuser largement sur les réseaux sociaux, mais aussi en intervention. Les fausses informations les plus fréquentes auprès des lycéens sont la taille du pénis, la représentation d’une femme comme un objet, le temps du rapport, le sperme et les positions compliquées. Mais le travail de fond doit être fait par la famille, par un adulte ou une personne-ressource. Les parents doivent être vigilants sur la consommation digitale de leurs enfants, sous peine que ces derniers n’arrivent pas à s’épanouir ensuite sexuellement. »

En tapant juste « porno » sur Google,vous atteignez 1,2 milliard de résultats.

Internet, le fléau sexuel des ados

Regarder son historique. Lui interdire certaines applications. Des techniques de surveillance rapprochée qui peuvent avoir un petit côté Gestapo, et pourtant il faut le rappeler, Internet peut être le pire ennemi de la sexualité des ados. Dans les années 2000, le sexto (texto coquin) est devenu très à la mode, surtout chez les jeunes. En 2019, la photo/vidéo coquine l’a remplacé. Du simple texte sans conséquence, les adolescents mettent désormais en péril leur intimité et parfois même leur avenir en prenant le risque de se retrouver nu(e)s sur le web.

Gady, 16 ans, avoue volontiers pratiquer avec ses copains la « sexpic ». « J’en envoie et j’en reçois. Je fais ça pour les exciter et pour savoir si mon petit ami du moment est toujours à fond sur moi », explique-t-elle. Pour sa copine, Gina, 18 ans, il n’est pas question d’en envoyer, mais par contre d’en recevoir… « Je leur demande toujours de faire les photos en premier, pour me moquer d’eux, mais aussi pour voir à quel point ils tiennent à moi. Mais je n’en envoie jamais. »

Le porno et les jeunes en chiffres

En Nouvelle-Calédonie* :
• 48 % des 15-20 ans ont déjà visionné des images/vidéos pornographiques.
 22 % pensent qu’elles reflètent la réalité.

En Métropol:

 85 % des ados ont vu du porno avant leurs 15 ans et 43 % des garçons avant leurs 12ans.**
 Le premier accès à la pornographie se fait donc de plus en plus jeune, à un âge où la maturité nécessaire pour l’appréhender est donc inexistante.

* Enquête réalisée par le CP2S en 2015 auprès de 2 000 jeunes. Disponible sur sexo.nc.
** Enquête menée par Bénédicte de Soultrait en 2017 sur les 12-25 ans.

Quand parler de sexualité avec nos enfants ?

L’idéal est d’attendre qu’ils posent des questions et de leur répondre à hauteur de leur maturité et de ce qu’ils sont capables de comprendre, sans pour autant dénaturer le propos. Surtout ne jamais leur dire : « tu n’es pas assez grand pour comprendre ». Cette injonction pourrait les empêcher, une fois ado, de se confier à vous.
L’arrivée d’une petite sœur ou d’un petit frère lance généralement la question « d’où viennent les bébés, mamaaaaan ? » Oubliez cigogne, rose et choux, parlez d’amour entre deux personnes, de câlins et d’un bébé qui grandit dans le ventre de maman et qui sortira par son vagin — dans le meilleur des cas bien sûr. « J’ai été honnête avec mon aîné, se souvient Luce, quand il m’a demandé comment était sorti son petit frère. Petit 1, parce que j’étais trop épuisée pour inventer un bobard. Petit 2, parce qu’il m’aurait débusquée en deux minutes. Il n’a même pas tiqué. Il a juste dit qu’il avait compris et a continué sa vie. Pourquoi ? Parce que c’est naturel. »

À chaque âge, il faut adapter ses explications, son vocabulaire, mais il est important de conserver les mots qui définissent les organes sexuels dans la vie de tous les jours : vagin, pénis.

Manu, jeune homme de 16 ans, en couple depuis un an et demi désormais, admet pratiquer depuis le collège. « En général, quand je demandais, j’en avais. Rares sont les filles qui ne m’en envoyaient pas. Je pratique toujours avec ma petite-amie, mais nous sommes en confiance, on sait que ça ne risque rien ensemble. »

La vérité mise à nue

Justement, non. C’est un grand risque qui est pris. Pour les filles principalement. Léa, 18 ans, en couple avec Manu justement, témoigne : « Si les photos d’une nana se retrouvent sur les réseaux, les mecs vont passer leur temps à la traiter de pute et à lui demander de les sucer, les filles vont l’insulter et la traiter comme une pestiférée. Si elle a de la chance, elle aura au moins un groupe de copines pour la soutenir. » Et quand on lui demande si ce genre de choses arrive souvent, Léa confirme. Pourtant, elle continue de le faire, parce qu’elle a « confiance ».
Mais parfois, ce n’est pas le petit-ami qui balance sa copine sur la place publique. Pour Mana, c’était le meilleur ami du petit-ami. De l’aveu des adolescents interrogés, son témoignage pourrait concerner de nombreuses jeunes Calédoniennes. Jusqu’à en devenir « banal ».

La première fois

Selon les dernières études, l’âge de la première fois s’est stabilisé à 17 ans et demi.
Pourtant, si l’on se fie aux différents témoignages que nous avons pu recueillir, l’âge de la première fois se situerait plutôt entre 13 et 16 ans. Une nouvelle étude, en Nouvelle-Calédonie, nous aiderait peut-être à adapter l’éducation que nous donnons à nos enfants ?

Mana a 15 ans, elle est heureuse, elle est amoureuse. Elle décide d’envoyer à son chéri une photo d’elle très suggestive pour pimenter leur relation. Voilà quelques jours qu’ils n’ont pas pu se voir vraiment et il lui manque. S’ensuivent des mots doux, des mots coquins… et le drame. Quelques jours après, le meilleur ami s’empare du téléphone de son pote, trouve la photo et la balance sur Snap Chat, Facebook, Messenger… Mana est mise à nue, moquée et aujourd’hui traumatisée.

Le sexe – une injonction sociale ?

Désormais dans les cours de récréation de nos collèges et lycées, le sexe est le premier sujet de conversation. Si tu ne couches pas, tu n’es pas normale. Léa a connu une dizaine de partenaires depuis la perte de sa virginité à 14 ans. Quand on lui demande si chaque rapport était consenti, elle finit par lâcher un « oui, mais non. Parfois, j’ai couché avec un mec parce que j’avais dit que je le ferai, mais une fois le moment arrivé, je n’avais plus envie. Avec le recul maintenant (Léa a 18 ans, NDLR) et grâce à Manu aussi, je me rends compte que c’était idiot, j’avais le droit de dire non. »
Gady, 16 ans, est plus ferme à ce sujet. « Je ne me forcerai JAMAIS à faire l’amour. Par contre, au collège, je me suis souvent fait toucher les fesses et les seins alors que je ne le voulais pas. » Au collège, déjà, le harcèlement sexuel est courant, mais ne semble pas souffrir de remise en question de la part des jeunes. Toujours ce constat : une banalisation du sexe à outrance, qui n’est pas sans conséquence sur la santé de nos adolescents.

 

Le SIDA banalisé

Ainsi, au lycée, un quart des élèves ne savent pas qu’il existe des IST en Nouvelle-Calédonie. Pourtant le Caillou n’est pas en reste en matière d’infections sexuellement transmissibles. 20 % des 18-25 ans sont porteurs d’une chlamydia (étude ASSNC de 2012), contre 6 % en Métropole. Plus largement, la chlamydia touche 9 % de la population, le gonocoque, 3,5 % et la syphilis, 3 %.

Quant au VIH, pour les jeunes, il est devenu « commun ». Une étude menée par le Sidaction en Métropole a découvert que plus de 23 % des jeunes sont mal informés quant à la maladie, soit deux fois plus qu’en 2009. Le même pourcentage pense qu’on peut guérir complètement du Sida. Pour Jessica, mère d’un jeune adulte et d’une adolescente, c’est sidérant. « Je suis de la génération du VIH. On nous a terrorisés — à juste titre — pour mettre un préservatif à chaque rapport. Quand mon fils et ma fille ont été assez grands, j’ai acheté une boîte de capotes et je leur ai expliqué pourquoi c’était indispensable. Même si on aime, même si on a confiance. »
Quand la question de la capote arrive lors de l’entretien, Manu, sexuellement actif depuis ses 13 ans, baisse les yeux et avoue qu’il n’en a jamais mis. « Je ne me suis pas fait dépister, non plus. » Mais pourquoi ? La réponse est floue ; visiblement, l’ado est conscient d’avoir manqué de jugeote. Et il n’est pas le seul : Amélie du CP2S constate, à chaque intervention, l’absence d’infos en matière de santé sexuelle chez les lycéens. « La moitié n’utilise pas systématiquement un préservatif, soit parce qu’ils ont un partenaire fixe — sans pour autant avoir fait le dépistage — soit parce qu’ils n’aiment pas la sensation. Lors des interventions, nous pointons les risques, mais une grande partie avoue sur notre questionnaire de fin qu’ils ne suivront pas les recommandations de l’intervenant. La seule chose à faire, c’est de répéter sans cesse. Il y a un travail titanesque à refaire en matière de santé sexuelle. »

1960 : la révolution sexuelle a commencé. 2019 : le sexe s’est banalisé. Et si la liberté acquise si durement avait eu pour conséquence une désacralisation du corps ? Et si « faire l’amour » était devenu un non-événement ? À l’heure du #balancetonporc et du #metoo, il est important de rappeler à nos adolescents — garçons comme filles — que leur corps leur appartient, qu’ils en sont les gardiens et qu’ils doivent le protéger, en n’oubliant jamais que l’offrir à quelqu’un est un acte de passion, d’amour, de plaisir. LEUR plaisir.

Plus de 23 % des jeunes sont mal informés sur le Sida.


Des sites de références

Si Internet entraîne parfois les ados du côté obscur, 
il peut inversement être source de bonnes infos. 
Voici trois sites à leur donner en référence :

www.sexo.nc 
Un site local tenu par le CP2S où les ados peuvent visionner les différentes campagnes mises en place par l’association autour des clichés du porno, mais aussi l’importance de la tolérance et du consentement ou encore les violences commises à l’encontre des femmes.

www.Filsantejeunes.com
Très complet, il revient sur tous les thèmes de la santé sexuelle et affective avec une section « infos juridiques » très intéressantes (attention, il s’agit ici de la loi française, il faut donc vérifier sa concordance avec les lois calédoniennes).

www.onsexprime.fr 
Sur ce site, n’hésitez pas à écouter les podcasts 
de jeunes qui racontent des situations difficiles 
qu’ils ont vécues.
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