JE T’AIME, MOI NON PLUS…

Les derniers Baromètres Santé de l’Agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie ne laisse pas la place au doute. Les IST sont en hausse, le taux de grossesses non désirées avoisine les 55 % et l’usage des contraceptifs, pour encore une bonne partie, est ignoré. Comment dans un pays comme le nôtre, entre les campagnes de prévention, les associations spécialisées dans l’écoute, l’accueil,
la prévention, peut-on encore obtenir des chiffres aussi inquiétants ?
Et surtout, comment
ne pas aborder la sexualité par le seul prisme
de la peur ? Quid du plaisir,
de la confiance
et du respect ?

Yohann a 16 ans. Pour la première fois, il se sent amoureux. Prêt à franchir le pas, mais plus qu’anxieux dans cette nouvelle étape de sa vie, « ce passage presque obligé à l’âge adulte… Je ne vais pas vous mentir, au lycée, on ne parle que de ça. Mais ce qui me retient, ce sont toutes ces histoires de maladies, de grossesses, etc. » Dans ses inquiétudes, ne figure pas l’idée d’en parler à ses parents, « plutôt ouverts sur le sujet ». Quand on lui parle d’amour, de sentiments, Yohann avoue que cela passe au second plan.
En 2014, 38,6 % des 10-18 ans avaient répondu avoir déjà eu un rapport sexuel contre 27,1 % en 2019 selon le Baromètre Santé Jeune. Cependant, il faut noter que les possibilités de réponse ne sont pas identiques sur les deux périodes, les élèves ne pouvaient pas répondre « je préfère ne pas répondre » ou « je ne comprends pas la question » en 2014.
À quel moment avons-nous oublié de parler d’amour, de respect et de plaisir à notre jeunesse ? Pour Julie, maman d’une jeune Éliane, 14 ans, « c’est ce qui m’a le plus frappé chez mes amies-mamans avec elles aussi des enfants susceptibles de “passer à l’acte”, comme on dit. Quand je m’inquiète de savoir si Éliane a bien pris en compte l’idée des sentiments, de ne pas se précipiter, on ne m’oppose que des histoires de maladies, de contraception, de viols… J’avoue que c’est assez démoralisant. La sexualité aurait-elle été banalisée à ce point pour en faire finalement un réflexe animal ? Je ne veux pas de ça pour ma fille et j’essaye vraiment d’établir un climat de confiance autour de la question. »
Pour Christophe Giraud, professeur de sociologie à l’université Paris-Descartes et auteur de L’amour réaliste : La nouvelle expérience amoureuse des jeunes femmes, interrogé par Les Échos, « depuis les années 1970, les femmes redéfinissent leurs relations en ce sens. Elles continuent de croire en l’amour, mais elles développent une sexualité sans sentiments et détachée de relations stables ». Histoire d’être sur un pied d’égalité avec les garçons ? Les réseaux sociaux et les applis de rencontres ont contribué à cette évolution.

L’approche positive

Au sein de la famille, la communication autour de la sexualité est un sujet très complexe. Beaucoup de parents n’ont d’ailleurs jamais eu d’échange sur la sexualité avec leurs enfants. Pour le CP2S, l’idéal est de ne pas attendre que les enfants soient finalement « trop âgés ». Ce Comité de promotion de la santé sexuelle (CP2S) a ainsi lancé une campagne originale pour la Nouvelle-Calédonie, baptisée #sanstabou, pour répondre via des jeux et des brochures aux nombreuses interrogations qui « sont fréquentes, notamment de la part des parents. La gêne de répondre peut parfois mener à une absence de discours autour de la sexualité, de l’intimité. Cependant, il est essentiel pour un enfant dès le plus jeune âge d’avoir des informations pour qu’il n’associe pas la sexualité à quelque chose de tabou, à des peurs, à des comportements inappropriés… La sexualité infantile n’est pas une sexualité adulte, mais elle en est les prémices et permettra son épanouissement. On parle communément chez l’enfant du développement psycho-affectif (ou psycho-sexuel). »
Ainsi, il est démontré que les enfants mieux informés auront une première expérience sexuelle plus tardive, mais aussi moins de partenaires et éviteront plus les conduites à risques. « Ne pas répondre à un enfant ne l’empêche pas de se poser la question, mais fait prendre le risque qu’il cherche l’information auprès de mauvaises sources… » Ainsi en Nouvelle-Calédonie, plus d’un jeune sur trois (39,4 %) de 10-18 ans déclare avoir déjà vu des images ou vidéos pornographiques. Les garçons sont plus nombreux à avoir déjà vu des images ou vidéos pornographiques (49,3 %) que les filles (29,7 %). La proportion de jeunes ayant déjà vu de la pornographie augmente avec l’âge en passant de 20,7 % chez les 10-12 ans à 39 % chez les 13-15 ans et 55,8 % chez les 16-18 ans.
Certains parents sont désemparés devant la sexualité de leurs ados, à l’image de Franck et Nathalie qui ont bien voulu témoigner. Parents de deux adolescents, « nous avons l’impression d’avoir raté le coche avec eux sur le sujet. Oui, ils se protègent, mais nous avons le sentiment, partagé avec d’autres parents, que les jeunes ne savent plus aimer. Ils vont de relation en relation. La sexualité semble pour eux un produit de consommation au même titre qu’un smartphone ! »
Pour Jacques, « militant discret » de Diversités Nouvelle-Calédonie, une association qui milite pour inclure toutes les diversités sexuelles et les identités de genre en Nouvelle-Calédonie, « ce n’est pas vraiment vrai. L’histoire des sentiments est toujours là. C’est plutôt la banalisation globale de la sexualité qui conduit les jeunes, et pas qu’en Nouvelle-Calédonie, à ne plus voir, si j’ose dire, la beauté du geste. Mais on ne peut pas négliger la santé sexuelle. Il faut arriver à aborder les deux sujets, celui du respect du corps de l’autre, qui passe aussi bien par les sentiments que par sa protection. C’est un exercice d’équilibriste au quotidien. » Parler des sentiments, de la première fois (voir page 34) mais aussi de la contraception. Sur ce dernier point, on observe chez les jeunes femmes de nouveaux comportements, et notamment une défiance avérée des méthodes contraceptives impliquant les hormones. Une nouvelle génération « no pilule » qui rejette le contraceptif oral.

La santé sexuelle selon l’OMS
« Un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité [qui requiert] une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination
ou violence. »

« Parler

des sentiments,

de la première fois mais aussi de la contraception. »

Génération « no pilule »

Les résultats d’un sondage exclusif commandé par le magazine ELLE à l’Ifop révèlent notamment que si la pilule reste le premier moyen de contraception (34 %), d’autres, comme le stérilet au cuivre, progressent devant les dispositifs hormonaux, dont Mirena, mis en cause pour ses effets secondaires. Aujourd’hui, près d’une femme sur dix serait donc revenue aux méthodes naturelles (surveillance du cycle menstruel, retrait…). Quant au préservatif, bien que désavoué par les 15-24 ans, chez qui on observe une recrudescence des IST, il apparaît désormais comme le deuxième moyen de contraception, après la pilule et avant le stérilet.
« Pour moi, le problème ce n’est pas la contrainte de la pilule, précise Caroline, 29 ans. C’est tout simplement une question de choix éclairé, j’ai envie de dire. J’ai une appli qui calcule mes cycles, je n’ai pas de partenaire régulier donc je préfère avoir recours au préservatif et je surveille mon cycle de près. » Dans ce sondage du magazine ELLE, 44 % de celles qui ne souhaitent plus prendre un contraceptif hormonal le justifient également par le ras-le-bol des effets secondaires. En réalité, la contraception s’adapte à tout âge et pour certains professionnels, les méthodes naturelles doivent être un choix aussi respectable que n’importe quel autre, à condition de se protéger efficacement contre les IST et le SIDA en cas de rapport. Le préservatif reste le seul moyen opérant aujourd’hui. C’est ça, la liberté des femmes. Et des jeunes filles.

Pour la confidentialité des témoignages, tous les prénoms ont été modifiés

La bonne idée
Dans la continuité d’une action de sensibilisation qui s’est déroulée le 4 septembre dernier, les élèves d’une classe de première du lycée du Grand Nouméa ont exposé les affiches qu’ils ont réalisées, au sein de leur établissement. La consigne ? Créer une affiche avec un message positif et informatif sur la santé sexuelle (le consentement, le respect, le genre, la contraception, le plaisir, la communication, l’orientation sexuelle…) pour permettre la transmission d’un message des « pairs pour les pairs ». Ainsi, 9 affiches ont été exposées dans tout le lycée et un stand d’information animé conjointement par l’ASS-NC et les lycéens était proposé, avec notamment la distribution gratuite de préservatifs.
www.santepourtous.nc

Où s’informer ?
SOS Écoute
Tél. : 05 30 30
SOS Écoute - Nouvelle Calédonie
Le Point SOS Ecoute
SOS Violences sexuelles Tél. : 25 00 04 Un dispensaire (ou centre médico-social) Province Sud - Province Nord - Province des Îles CCF (Centre de conseil familial) Tél. : 27 23 70 ESPAS CMP de la Province Sud Tél. : 20 47 40 Nouméa Centre-ville - 1 bis rue Gallieni CP2S Comité de promotion de la santé sexuelle Tél. : 28 63 38 CP2S www.sexo.nc Solidarité SIDA-NC Tél. : 24 15 17 Solidarité Sida NC www.solisida.nc Association Diversités NC Tél. : 97 62 64 Diversités NC
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