Les enfants du silence

Depuis le début de l’année, la France est secouée par une nouvelle vague de libération de la parole. Dans la mouvance de #MeToo, ce sont aujourd’hui les violences sexuelles faites aux enfants et plus particulièrement l’inceste qui se retrouvent au cœur de l’actualité, jusqu’à sans doute la modification du code pénal. Quand les enfants ne se taisent plus. Quand les adultes posent des mots sur leur calvaire, la Nouvelle-Calédonie semble se taire. Doit-on lever ici un dernier tabou et sortir l’inceste de l’angle mort des violences sexuelles
dans la loi ?

Fin 2020, l’association SOS Violences sexuelles de Nouvelle-Calédonie a pris connaissance de plus de 50 agressions sexuelles, dont les ¾ sur mineurs. Dans son dernier Baromètre Santé, l’Agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie déclarait qu’un jeune sur sept avait déjà été « physiquement forcé à avoir des rapports sexuels ». 21 % de filles, contre 9 % de garçons, mais surtout 14 % des jeunes interrogés, âgés de 10 à 18 ans. C’est déjà 14 % de trop. Si sur la scène médiatique française, les violences sexuelles à l’encontre des enfants s’exposent comme le dernier scandale et plus encore celui de l’inceste, cela ne semble pas être le cas en Nouvelle-Calédonie.
Depuis deux mois, les voix s’élèvent. La parole se libère sur la Toile. Des affaires plus que médiatiques divisent les opinions et ici, pas une ligne. Pas un mot. Silence radio ou silence de circonstance ? Sur les 1 500 enfants signalés chaque année pour violences en tout genre (physiques, sexuelles, verbales), combien sont véritablement victimes de violences sexuelles ? En Nouvelle-Calédonie, les chiffres sont connus, mais ne peuvent être rendus publics. Pourquoi ce dernier tabou ? Certains osent avancer l’argument culturel.

Suis-je victime d’inceste ?
Être victime d’inceste, c’est une forme de maltraitance. Parfois, on peut avoir l’impression que ces gestes ont été faits avec douceur, avec « gentillesse », sans force… C’est justement toute l’ambiguïté de cette agression. Avoir des relations sexuelles, subir des attouchements, recevoir des caresses mal placées de la part d’une personne de sa famille, c’est de l’inceste. Même si à certains moments, on s’est sentis flattés d’être autant désirés, même si on n’a jamais osé dire non, même si on aime cette personne, c’est interdit ! Cet adulte n’a pas le droit de nous infliger ça !

Manipulation psychologique

Une honte et une idée reçue dénoncées notamment en Polynésie par la psychologue Nadine Collorig qui estime que si la parole se libère moins facilement, c’est avant tout parce que sur une île où à l’échelle d’un territoire aussi petit que la Polynésie, on ne dévoile pas les choses aussi facilement. Le repli, le manque d’anonymat, l’interconnaissance des familles et la peur du scandale retiennent la parole. Il n’y a donc rien de culturel. Et puis surtout dans l’inceste, il y a l’enfant. Un enfant qui subit une double peine : une agression sexuelle de la part de quelqu’un qu’il aime. De la part d’une autorité familiale. Le plus souvent de quelqu’un qui doit le protéger. Les survivants de l’inceste* éprouvent une fois adultes de grandes difficultés à former et à maintenir des relations intimes satisfaisantes. Dans un sondage, l’Association internationale des victimes de l’inceste (AIVI) indique que plus de 98 % des victimes estiment que l’inceste a ou a eu une « influence négative » sur leur vie de couple. Un doux euphémisme.
Pour Nicholas**, 63 ans aujourd’hui, « les attouchements pratiqués par mon beau-frère, le mari de ma sœur, alors que je n’avais que 10 ans à l’époque, je n’ai pu en parler qu’à 50 ans, au détour d’une psychanalyse. J’ai voulu m’exprimer auprès de ma famille. De mes frères et sœurs. Encore aujourd’hui, je suis persuadé qu’aucun d’entre eux ne m’a cru. Je ne suis pas étonné. Mais j’ai arrêté d’en parler. J’ai enterré cette histoire avec mon bourreau il y a deux ans. Ce qui est sûr, c’est qu’il a gâché ma vie, détruit ma confiance en l’avenir. Quelque part, il m’a brisé. C’était un meurtre de ma personnalité. » Nicholas n’a jamais été victime de viol à proprement parler (voir p. 38), mais d’attouchements sexuels « épisodiques. Si moi je souffre encore 50 ans plus tard, je n’ose imaginer ce que c’est que d’être confronté au viol en étant enfants. Mais des histoires comme la mienne, il y en a plein en Nouvelle-Calédonie. » Et certaines franchissent même les portes du tribunal. Elles concernent souvent des enfants, des fillettes de moins de 5 ans, souvent dans la sphère proche ou familiale. Il suffit de faire une simple recherche dans les archives pour que ressorte le sommet de l’iceberg. Des enfants qui osent parler. Des enfants souffrant de troubles psychiques. Des enfants dans des centres de loisirs. Là où chaque parent espère que la confiance règne.

C’est quoi la différence entre incestueux et incestuel ?
On parle de situation incestueuse lorsqu’il y a un inceste avéré, réel dans une famille – c’est-à-dire quand on a eu une relation sexuelle avec un membre de sa famille alors que la loi et la morale l’interdisent. L’incestuel évoque plutôt une ambiance trouble, ambigüe, souvent malsaine, dans une famille où les limites de cet interdit de l’inceste ont été mal posées et sont floues. Par exemple, quand on vit dans une famille où le parent insiste pour laver son ado alors qu’il a déjà 15 ans, on peut dire que dans ce cas on grandit, malgré soi, dans une ambiance incestuelle.

Tous coupable ?

Revenons près de deux ans en arrière. Plus précisément le 9 août 2019. Scandale Baie de l’Orphelinat à Nouméa. Le directeur d’un centre d’activités extrascolaires est interpellé et mis en examen pour agressions sexuelles commises entre 2016 et 2019 sur trois mineurs, âgés de 4 à 11 ans. L’affaire est entrée dans les salons. A été commentée sur les réseaux sociaux. Mais elle n’a pas suscité de libération avérée de la parole. Pas plus que cette encore plus sordide affaire de 2015, où un homme de 35 ans a été condamné en Nouvelle-Calédonie à sept ans de prison pour le viol d’une jeune fille handicapée. Cette dernière, âgée de 15 ans au moment des faits, était une adolescente née d’un inceste entre le père et la sœur… de l’accusé. À l’époque (pas si lointaine), l’expert psychiatrique parlait de « malédiction familiale ».
« Pour les mineurs, l’affaire d’Outreau a particulièrement malmené l’aspect sacré de la parole de la victime. Encore aujourd’hui, on nous sort la carte d’Outreau pour remettre un témoignage en question », explique Me Laure Chatain, avocate spécialisée dans les violences sexuelles en Nouvelle-Calédonie. La malédiction touche-t-elle toute la société calédonienne ? Ceux qui savent et se taisent sont-ils aussi tous coupables ? Quand allons-nous prendre le temps de renforcer, identifier, dénoncer, punir les coupables et aider les victimes et témoigner à notre tour grâce au hashtag #MeTooInceste ? C’est à cela que doit servir le mouvement d’ampleur national qui est en train d’embraser la France. Le garde des Sceaux a annoncé mi-février vouloir fixer le seuil de non-consentement à 18 ans pour l’inceste. Un vœu qui fait suite à une tribune parue dans le quotidien Le Parisien, où 62 personnalités du monde artistique ont appelé à protéger les enfants des crimes sexuels, les qualifiant de « crime de masse ». L’entrée en vigueur du texte se ferait « vraisemblablement » en avril prochain. D’ici là, les Calédoniens oseront-ils à leur tour libérer la parole, au risque de troubler l’ordre familial et briser la malédiction ?

  • Aubry I., Apers S. (2009), Être parent après l’inceste. L’inceste, quand les victimes en parlent, Lyon, Éditions J. Lyon.
    ** Prénom modifi
    é

Une définition claire
L’inceste, c’est le fait d’avoir des relations sexuelles avec un membre de sa famille, alors que c’est interdit. L’inceste dans la loi française est un concept extrêmement délicat. Ce n’est pas une infraction en soi. L’inceste fait partie des circonstances aggravantes. On parle de viols ou d’agressions sexuelles aggravés quand ils sont commis par un ascendant (parents, grands-parents), un tuteur, des oncles, tantes, beaux-parents, frères et sœurs, s’ils ont autorité de droit ou de fait.

En Nouvelle-Calédonie, un jeune sur sept avait déjà été physiquement forcé à avoir des rapports sexuels.


*Affaire Duhamel

L’inceste, ce tabou
qui ne se cache plus

C’est l’histoire d’un livre. Un livre qui a tout déclenché. Un livre comme une déclaration intime. Un livre qui sort à point nommé, au moment où le Sénat examine une proposition de loi visant à créer un nouveau crime sexuel pour protéger les enfants de moins de 13 ans. Avec La Familia grande, Camille Kouchner met le feu aux poudres et place l’inceste au cœur de l’actualité dans une ambiance mondiale de libération de la parole. Chronologie d’un scandale annoncé pour un crime jusqu’alors sans nom dans le code pénal.

Lundi 4 janvier : des extraits du nouveau livre de Camille Kouchner, La Familia grande, sont publiés dans la presse. Elle y accuse son beau-père, Olivier Duhamel, d’avoir agressé sexuellement son jumeau lorsqu’il était adolescent à la fin des années 80. La confidentialité du texte a été préservée jusque début janvier par Camille Kouchner et Mireille Paolini, son éditrice au Seuil.
16 janvier : des milliers de témoignages après l’affaire Duhamel déferlent sur la Toile, affublés du hashtag #MeTooInceste. Alors que la parole des victimes d’inceste se libère, l’affaire Duhamel pourrait bien initier la fin d’un tabou.

19 janvier : la question du consentement aux actes sexuels commis sur des mineurs figure à l’ordre du jour du Sénat : la chambre haute examine une proposition de loi visant à créer un nouveau crime sexuel pour protéger les moins de 13 ans. Cette nouvelle infraction reposerait sur la prise en compte du jeune âge de la victime sans qu’il soit nécessaire d’établir son absence de consentement.
Christophe Castaner, président du groupe LREM à l’Assemblée nationale, plaide alors pour un durcissement de la loi contre l’inceste en estimant qu’il faudra « si nécessaire donner la qualification pénale à ce crime ».

20 janvier : l’association « Face à l’inceste » lance une campagne de communication pour demander que la loi soit réécrite, afin qu’un enfant victime d’inceste n’aie plus à prouver qu’il n’était pas consentant.

Janvier – mi-février : depuis janvier, les révélations d’affaires d’agressions sexuelles ou de viols se sont multipliées, visant dans le monde de la culture l’acteur Richard Berry, l’artiste Claude Lévêque ou encore le producteur de télévision Gérard Louvin.

24 février : dans le sillage de l’affaire Duhamel, le gouvernement s’engage dans la lutte contre l’inceste, qui touche 6,7 millions de Français. Le gouvernement a lancé un groupe de travail pour renforcer la détection à l’école des enfants victimes d’inceste et de violences sexuelles et favoriser la prévention. Les conclusions sont attendues fin juin.

Extraits de La Familia grande
« Je vais t’expliquer, à toi qui dis que nous sommes tes enfants. Quand un adolescent dit oui à celui qui l’élève, c’est de l’inceste. Il dit oui au moment de son désir naissant. Il dit oui parce qu’il a confiance en toi et en ton apprentissage à la con. Et la violence, ça consiste à décider d’en profiter, tu comprends ? Parce que, en réalité, à ce moment-là, le jeune garçon ne saura pas te dire non. Il aura trop envie de te faire plaisir et de tout découvrir, sûrement. » Camille Kouchner,
La Familia grande


*La position du gouvernement français

Sortir de l’angle mort

Le 24 février dernier, le gouvernement a décidé de mettre en place un groupe de travail pour renforcer la détection à l’école des enfants victimes d’inceste et de violences sexuelles et favoriser la prévention. Les conclusions sont attendues fin juin. Selon un sondage Ipsos de novembre 2020, un Français sur dix affirme avoir été victime de violences sexuelles durant son enfance.

Bien qu’encore trop rares, les études sur le sujet montrent qu’entre 5 % et 10 % des Français ont été victimes de violences sexuelles durant leur enfance, qui se déroulent, dans 80 % des cas, au sein de la sphère familiale.
À l’heure actuelle, l’inceste ne constitue pas, selon le code pénal, une infraction spécifique : un viol ou une agression sexuelle commis par un ascendant de la victime ne sont considérés que comme une circonstance aggravante. Un viol incestueux est puni de vingt ans de réclusion criminelle au maximum.

À savoir
• Article 222-24 du code pénal : le viol est puni de vingt ans de réclusion criminelle (…) lorsqu’il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.
• Article 222-31-1 du code pénal : les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis par (…) le conjoint d’un ascendant s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait.


Le crime sans nom

L’inceste, c’est l’angle mort des violences sexuelles. Une réalité dont vient de s’emparer le chef de l’État qui, le 20 février dernier, a annoncé une série de mesure pour lutter contre les violences sexuelles sur les enfants. « Vous ne serez plus jamais seules », a déclaré Emmanuel Macron en s’adressant aussi aux victimes d’inceste. « Nous avons allongé le délai de prescription à 30 ans à compter de la majorité. Nous avons durci les contrôles pour les professionnels au contact des enfants. Beaucoup a été fait.
Il nous faut faire plus. »
Un travail de fond que le gouvernement français entend lancer dès juin avec les conclusions qu’apporteront des experts et surtout le groupe de travail. « Deux rendez-vous de dépistage et de prévention contre les violences sexuelles faites aux enfants – l’un au primaire, l’autre au collège – seront mis en place pour tous, dans le cycle de visites médicales obligatoires existantes » a rajouté le chef de l’État.
Le 16 février, le gouvernement s’est déjà dit « favorable » à ce que le seuil de non-consentement soit fixé à 15 ans, pour tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur. En cas d’inceste, Éric Dupond-Moretti veut un seuil de non-consentement à 18 ans.

Eric Dupond-Moretti veut fixer

le seuil de non-consentement à

18 ans pour l’inceste d’ici avril.


*Santé sexuelle et jeunesse

Où trouver de l’aide ?

Qui consulter ? Mon enfant est-il victime de violences sexuelles ? Pour détecter une situation de détresse ou d’évitement sur le sujet, il est important d’observer les agissements de votre enfant et de communiquer avec lui. Pour aider les plus jeunes (de 2 à 5 ans), les professionnels de l’enfance peuvent décrypter certains signaux, et vous aussi. En voici quelques-uns.

Les signes physiques discrets

Dans de nombreux cas, les maltraitances sexuelles n’entraînent pas de séquelles physiques évidentes, même lorsque l’on procède à un examen médical immédiatement après l’agression. Dans la grande majorité des cas, les abus sont commis par des proches sans brutalité. De plus, les violences perpétrées contre les enfants consistent aussi en attouchements, simulations d’actes sexuels et pénétrations buccales.
La répétition, l’accumulation et la permanence d’indices physiques doivent vous amener à faire un signalement. Plus les signes discrets sont nombreux, plus le diagnostic est probable et plus les abus sont potentiellement graves et chroniques. Plus l’enfant est jeune, plus la probabilité que l’auteur soit un membre de sa famille ou un proche est élevée.
• Un enfant qui change de comportement par rapport au comportement habituel montre des signes de détresse. Agité ou plus calme, des notes scolaires en baisse ou alors une augmentation du nombre de cauchemars sont autant de signes alarmants.
• Les signes de régression (pipi au lit, vouloir dormir avec l’un de ses parents…).
• Les douleurs abdominales chroniques, les vomissements, la constipation, la diarrhée, la contraction du sphincter anal au cours de la défécation, les troubles urinaires, les douleurs pelviennes, les maux de gorge ou la gêne à la déglutition.
• L’apparition subite de peurs incontrôlables, de pleurs, des désordres de l’appétit.
• Chez des enfants plus âgés, voire des adolescents : une grossesse, une demande d’avortement adressée en présence d’un membre masculin de sa famille.
• Chez les plus jeunes enfants, le dessin et les mises en scène permettent en cas de suspicion de faire émerger la parole.

Les infos en plus
• Une plainte pour agression sexuelle (délit) peut être jugée en comparution immédiate, soit deux jours, mais il faut compter environ 18 mois dans le meilleur des cas.
• Des avocats volontaires sont présents tous les mardis et les vendredis au tribunal pour assister au besoin les victimes lors des comparutions immédiates des agresseurs, leur exposer leurs droits, les assister dans leur plainte et leur témoignage, voire demander de repousser le procès pour travailler le dossier.
• Certaines plaintes amèneront un non-lieu, d’autres seront classées faute de preuves ou parce que la victime n’est pas prête à témoigner. Ces dernières pourront faire l’objet plus tard d’une demande de jugement, contrairement au non-lieu.
• La prescription pour un viol sur mineur est de 30 ans à partir de la majorité.

Les symptômes physiques fortement suspects
(www.resilience-psy.com)

Les symptômes listés ci-dessous doivent toujours faire soupçonner une violence sexuelle :
• La présence de sperme sur le corps de l’enfant ou sur ses vêtements.
• Des lésions au niveau génital, périnéal et anal.
• Des saignements vaginaux et rectaux ainsi que des douleurs pelviennes, génitales ou anales.
• Les infections sexuellement transmissibles pouvant se signaler par des douleurs, une leucorrhée (pertes blanches), des ulcérations, des démangeaisons ou une irritation.
• Un herpès vaginal au-delà de 3 mois, des trichomonas chez un nourrisson de plus de 6 mois, une gonorrhée chez un enfant de plus d’un an ou des chlamydias après l’âge de 3 ans donnent une quasi-certitude d’abus sexuel. Il en est de même d’une syphilis ou d’un VIH lorsque la mère est séronégative pour ces infections.
• Les contusions et les déchirures hyménales sont suspectes, surtout si les lésions sont importantes. A contrario, l’absence de déchirure de l’hymen n’exclut pas une agression sexuelle : il peut y avoir pénétration vaginale sans déchirure de l’hymen et violence sexuelle sans pénétration vaginale.

Comment alerter ?
La Cellule des informations
signalantes de la province Sud :
20 44 96 ou 20 44 89
informations.signalantes@province-sud.nc
Le signalant peut demander à garder
l’anonymat.
SOS Violences sexuelles :
05 11 11 gratuit
SOS Écoute : 05 30 30 gratuit


*Et la loi dans tout ça ?

Comprendre la loi

« Mais c’est horrible ! » « Comment un enfant peut-il consentir ? » Cela vous dit quelque chose ? Il s’agit des différentes réactions scandalisées des internautes suite à la proposition de loi portée par la centriste Annick Billon : « le consentement sexuel à 13 ans ».
Pour comprendre ce qu’il en est, la rédaction a décidé de consulter Me Laure Chatain, avocate spécialisée dans les violences sexuelles, qui travaille avec l’association SOS VIOLENCES et aide les victimes à travers le système judiciaire. Partage de connaissances et leçon d’humanité furent au rendez-vous.

Contrairement à ce qu’on s’imagine, Me Laure Chatain est loin d’être l’avocate froide et inatteignable qu’on a tous plus ou moins en tête. Il aura fallu moins de 24h pour la rencontrer, « car je ne refuse jamais de parler des violences sexuelles. C’est très important d’avoir un discours ouvert à ce sujet pour endiguer le problème » et peut-être mettre fin au tabou qui s’y accroche désespérément. Avant d’aborder le sujet qui nous intéresse, nous lui demandons de nous expliquer quelques termes juridiques qu’il est souvent difficile de comprendre pour les simples mortels que nous sommes.

La différence entre atteinte sexuelle et viol ?

La réponse est crue « s’il y a pénétration (avec défaut de consentement), il y a viol et la plainte se retrouve directement aux assises. Si c’est une atteinte, elle sera envoyée au correctionnel. » Dans le premier cas, la peine d’emprisonnement peut aller jusqu’à 15 ans « et 5 ans de plus pour circonstances aggravantes comme un viol sur mineur de 15 ans par exemple ». Dans le second, la peine peut aller jusqu’à 10 ans.
« Parfois, le procureur demande à ce que certaines plaintes pour viol soient requalifiées en agression sexuelle, dans les cas, par exemple, où la pénétration sera discutée. On dit que les dossiers sont correctionnalisés, ce qui fait forcément baisser les peines, à mon grand regret. Mais c’est un choix qui ne peut pas être imposé à la victime. Et d’un autre côté, les dossiers sont audiencés plus rapidement et il est des affaires qu’il est plus facile de défendre auprès des professionnels de la justice qu’auprès d’un groupe de jurés populaires, qui peuvent être prompts à juger les victimes. »
Le consentement

« Le consentement est déterminé par la perception qu’en a eu l’auteur, puisqu’il doit s’armer de violence, menace, contrainte ou surprise pour arriver à ses fins, ce qui n’est pas normal. » Me Chatain nous explique alors que parfois la partie adverse avance que l’auteur des faits a mal compris les intentions de la victime. « Dans un récent dossier d’assises, l’avocat de la défense affirmait que l’accusé avait mal lu les signes. La victime était endormie, j’aimerais savoir quels étaient les fameux signes. » Mais l’avocate admet qu’en matière de consentement, les enfants sont épargnés. « Enfin certains essaient d’expliquer qu’ils sont agressés sexuellement par leur petite victime mais… ce n’est pas vraiment bien vu… »

C’est très important d’avoir

un discours ouvert à ce sujet

pour endiguer le problème

La loi autour des mineurs

« Pour rejoindre de nombreux pays et compte tenu de jurisprudences choquantes, la Loi dit qu’avant 13 ans on ne peut pas recueillir le consentement d’un enfant. Pour moi, ce n’est pas réellement une avancée puisque rares sont les violeurs qui ont pu, en Nouvelle-Calédonie en tout cas, affirmer avec succès qu’une enfant de 12 ans les avait séduits. C’est plutôt pour les violeurs potentiels qu’elle été votée. Leur dire : « c’est un crime ». »
Et pour aller plus loin, « il faut savoir que la majorité sexuelle est implicitement établie à 15 ans. Quoi qu’il en soit, avant 15 ans, s’il y a relation sexuelle entre un mineur et un adulte, il y a délit d’atteinte sexuelle, si les faits se sont produits sans contrainte. L’écart d’âge comme la force du lien d’autorité peuvent alourdir la peine. »

Pourquoi la victime a-t-elle besoin d’un avocat ?
Et pourquoi ce n’est pas le procureur ?
Parce que nous ne sommes pas aux États-Unis dans une série TV. Le procureur s’occupe de prouver le délit de l’agresseur tandis que l’avocat de la partie civile prend en charge les intérêts de la victime. « Mon rôle est de faire en sorte que la victime participe au procès, qu’elle soit entendue, indemnisée et qu’elle tire un bénéfice personnel de la procédure. Pas seulement qu’elle la subisse. Le procès ne doit pas être une double peine pour elle. » Selon Me Chatain, porter plainte est la première étape et permet de libérer la parole de la victime auprès de ses proches. « Parfois, ça suffit à entamer le processus de reconstruction. Mais une chose est sûre, si la justice ou la reconnaissance des autres permet d’établir son statut de victime, tout ceci ne doit en rien la victimiser tout au long de sa vie. Elle fut une victime à l’instant T. » Après, elle sera une survivante.

Il faut savoir que la majorité sexuelle est implicitement établie à 15 ans. Quoi qu’il en soit, avant 15 ans, s’il y a relation sexuelle entre un mineur et un adulte,

il y a délit d’atteinte sexuelle.


*La rencontre

Anne-Marie Mestre
« Tu risques  » plus  » d’être agressé
dans ta famille qu’à l’extérieur. »

Créée en 1992 à l’initiative d’une magistrate, l’association SOS Violences sexuelles existe toujours, presque 30 ans plus tard. Elle accompagne les femmes, les enfants et les hommes victimes de violences sexuelles. Discussion à bâtons rompus avec la présidente et l’une de ses fondatrices, Anne-Marie Mestre.

Comment êtes-vous arrivée à monter cette association avec Marie-Claude Tjibaou, pour ne citer qu’elle ?
Anne-Marie Mestre : Je suis gynécologue de profession. En 92, la magistrate Gervais de la Fond a réuni un groupe de réflexion autour des violences sexuelles en Nouvelle-Calédonie avec des coutumiers, des religieux et des associations de femmes. J’ai été moi-même sollicitée car je suis gynécologue de profession et j’ai souvent été appelée comme expert au tribunal. De ce groupe est née l’association SOS Violences sexuelles avec Marie-Claude Tjibaou en présidente. J’assure aujourd’hui ce poste (depuis 1996, NDLR) mais Marie-Claude est toujours présidente d’honneur.

Expert ? En quoi consiste ce rôle ?
Il s’agit de constater les lésions séquellaires et la concordance entre les faits allégués et les constats cliniques de la sphère génitale mais aussi de coups possibles pour contraindre la victime par exemple. À partir du moment où il y a une atteinte sexuelle, il y a systématiquement une expertise médicale et psychologique, voire psychiatrique. Tout comme l’agresseur d’ailleurs, afin de déterminer son potentiel de récidive, de prise en compte de l’autre. Mais j’ai dû arrêter de les mener lorsque je suis devenue présidente car c’était compliqué juridiquement. Il y avait un conflit d’intérêt et un risque de voir les expertises rejetées par la partie adverse.

Donc, si je comprends bien, les victimes connaissent souvent leur agresseur ?
Environ les deux tiers des victimes, oui. Ce sont généralement des situations intrafamiliales au sens large du terme. Tu risques « plus » d’être agressé dans ta famille qu’à l’extérieur. On a la même typologie qu’en Métropole au final. Juste un vocabulaire différent. Un viol en réunion s’appelle une tournante en France, ici, c’est une « chaîne ».

Et aujourd’hui, en plus de l’agression s’ajoute l’humiliation de la victime sur les réseaux sociaux. Avez-vous entendu parler de la vidéo de Ouégoa et de celle de l’Anse Vata ?
Non. (Nous lui expliquons)
Ça, c’est une évidence que le harcèlement en ligne ajoute au problème. « Je te touche le sein, je te pelote et je publie ça en ligne. » De même pour les commentaires des internautes sous les vidéos. Par exemple, pour la personne SDF qui se fait violer par un condisciple sur la plage, la moquerie vient par la déshumanisation de leur personne. « Ce ne sont que des SDF après tout. » Non.
À partir du moment où quelqu’un ne peut « parler », il ne peut y avoir consentement, c’est donc un viol. Et ce n’est ni drôle, ni divertissant.

D’un autre côté, les réseaux sociaux ont permis le mouvement #MeToo.
Justement, on a vu ce que ça donnait avec MeToo et BalanceTonPorc, où il y a eu des contre-vérités énoncées, c’est toujours le risque de balancer publiquement des allégations qui s’avèrent non fondées… Donc je suis assez perplexe sur la publicité, car il y a un côté voyeuriste qui n’est pas très sain, et jeter en pâture des victimes et accusés supposés ou réels me dérange. D’un autre côté, la publicité faite autour de tout ça incite les victimes qui n’avaient osé rien dire à faire la démarche d’un dépôt de plainte, c’est le seul côté positif selon moi. Surtout pour les enfants.

C’est-à-dire ?
Victor Hugo disait, il me semble, « Personne ne garde un secret comme un enfant ». C’est une vraie difficulté pour les enfants d’en parler, car l’inceste se situe au cœur même de la famille. En France, le témoignage d’une enfant via les réseaux a permis de retrouver des centaines de victimes du même bourreau.
Et je voudrais ajouter, pour les cas d’inceste, qu’il ne faut pas éluder le rôle des mères, la complicité active ou passive et les séquelles définitives pour la petite victime. Il y en aura, même si la procédure judiciaire aidera la victime à se reconstruire.

Pour revenir au mouvement des # sur Internet, pensez-vous qu’ils ont quand même un impact sur la libération de la parole ? Notamment pour les enfants avec le #MeTooInceste ?
Oui, clairement. On est sur un mouvement de balancier qui va d’un extrême à l’autre. Dans les années 80, on a un Cohn-Bendit, qui avoue dans Apostrophes, sans aucun problème : « Quand une petite fille, de 5 ans, commence à vous déshabiller, c’est fantastique ! C’est fantastique parce que c’est un jeu absolument érotico-maniaque. »
Avant, on occultait tout, on disait « ce n’est rien », et aujourd’hui on continue d’occulter beaucoup de choses.

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