Le féminisme expliqué aux nul(le)s

Le féminisme est-il devenu une tendance « bankable » ? Allons-nous trop loin ? La frénésie #metoo et #balancetonporc est-elle en train d’emporter avec elle le bon sens et celui de la mesure pour ne laisser la place qu’à des discours sans fin se noyant dans quelques prétextes ? En clair, le féminisme est-il en train de se retourner contre nous ? Et si on soufflait un peu ? Des questions qui font débat.
Par C. Idoux

« Toutes en grève ! » En Belgique, le ‘‘Collecti.e.f 8 maars’’ appelle à une « grève féministe » dans le pays le 8 mars, pour la journée internationale des droits des femmes. Le message : si les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête… Le site du collectif le dit, ses membres ne veulent plus être discriminées ! Problème : le plus grand ennemi du féminisme est sans doute… le féminisme lui-même.

L’ ESPRIT DE CHAPELLE

Le danger : ne pas rallier une majorité de femmes à la « cause », tout en ne faisant pas de la « cause » elle-même un nouveau mouvement tiède, sans éclat, un peu comme un soufflé que l’on aurait sorti trop tôt du four. En clair, nous ne sommes pas si nombreuses que cela à vouloir brailler seins-nus devant les symboles institutionnels pour réclamer pour les femmes les mêmes droits que les hommes, au sens large. En ce mois du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, quel sens (profond, et nous ne parlons toujours pas décolleté) donner au féminisme, pour éviter tout esprit de chapelle ?
Pour Peggy Sastre, journaliste scientifique et philosophe, qui s’est exprimée à l’occasion de l’Université d’été française du féminisme (une autre trouvaille) en septembre dernier et dans les colonnes de Contrepoints, « je ne sais pas si les féministes ont un sectarisme particulièrement prononcé ou pas, mais le fait est que tous ces débats sur ce qui relève du ‘‘ vrai ’’ ou du ‘‘ faux ’’ féminisme m’affligent assez profondément. On ne cherche même pas à prendre la peine de réfléchir, on disqualifie d’emblée. Je me répète, mais le fait que la majorité (si ce n’est la totalité) des combats pour l’égalité en droit entre hommes et femmes aient été gagnés en France fait que le féminisme périclite désormais en une ribambelle de sous-chapelles ayant chacune sa propre définition du féminisme. Ce qui est un peu dommage lorsqu’on prétend servir une cause un tant soit peu universelle. »

That’s the point darling (c’est bien le problème, chérie), comme dirait les Anglaises !

Faudra-t-il un jour avouer que
tout ça n’était qu’un grand mirage ? Attendons les remous…

LONDRES, Royaume-Uni – 10 juin 2018. Des milliers de femmes défilent à Londres pour célébrer les 100 ans du vote des femmes et de l’égalité des sexes. © Ink Drop / Shutterstock.com

 

Coucou les Princesses ! Descendez de votre cheval et jetez vos armures. Nous ne sommes pas toutes des Jeanne d’Arc de la cause et loin de vouloir que tout cela se termine sur le bûcher. Scléroser la cause féministe peut laisser croire que certains combats n’ont pas encore été gagnés.

Piqûre(s) de rappel

Et que faisons-nous de nos mères qui balançaient leur soutien-gorge (encore une histoire de nichons !) dans les années 70 en appelant la pilule de leurs vœux (autorisée en France en 1967), sacralisant l’avortement (loi Veil, 1975), adoubant le fait de pouvoir enfin s’ouvrir un compte en banque sans l’accord de leur mari et en leur nom propre (1967 également) ? La France ne peut pas non plus s’enorgueillir d’avoir inventé les Suffragettes, mouvement purement anglais, né en Grande-Bretagne en 1928 s’il vous plaît, pour obtenir le droit de vote ! Mais en réalité, ce sont bien les Américaines qui ont les premières luttées en ayant obtenu le droit de vote en… 1920.

Une Américaine vote, 1920. Pour la première fois, toutes les citoyennes américaines
de plus de 21 ans ont pu voter pour un président américain. © Shutterstock

Le « travail de sensibilisation des années 60-70 », comme aime à le dire l’auteur suisse Sergio Belluz dans un doux euphémisme, ne doit RIEN aux combats ou causes d’aujourd’hui. Bien au contraire. Né dans les années 1970 aux États-Unis principalement, le Women’s Rights Movement s’étend rapidement à la France. Les objectifs étaient limpides : certes lutter contre l’inégalité des sexes, mais surtout affirmer et représenter la « différence féminine » avec l’émancipation d’abord sociétale de la femme et la sortir du carcan de la famille, de la cocotte minute des années 50 qui la cantonnait à concocter de bons petits plats dans sa cuisine pendant que monsieur travaille et mendier quelques billets pour faire les courses. Bref, une esclave domestique portant le nom d’épouse et de mère au foyer !

En France, le 26 août 1970, un groupe de femmes lance la bataille en déposant une gerbe de fleurs sous l’Arc de Triomphe à Paris pour rendre hommage à la FEMME du soldat inconnu, jugée encore plus inconnue que lui comme le proclame une banderole. On adore l’idée et le sens de l’humour. Une action symbolique qui lance le MLF, le Mouvement de Libération des Femmes.

Libération et féminisme, est-ce la même chose ?

Et c’est ici que les idées s’opposent avec notre 21e siècle qui résume de plus en plus la cause féministe à un concours de maquillage sur Instagram, à savoir qui aura le plus beau ravalement de façade au point de ressembler, au mieux, à une icône « photoshopée ». Celles qui prennent le contrepied extrême en choisissant de revenir au total look « nature » au point de se laisser pousser les poils sous les bras tout en abandonnant leur déodorant, on a parfois envie de leur dire par pitié, mettez-vous au minimum à la pierre d’Alun pour nous épargner vos odeurs « naturelles » par 35°C.
L’action de nos mères dans les années 70 était bien une cause pour libérer la femme occidentale, la même qui aujourd’hui se laisse pousser les poils en mâchant péniblement du quinoa. Sous l’Arc de Triomphe, les militantes féministes déploient une banderole qui rappelle qu’un homme sur deux est une femme et proclame, dans un tract : « maintenant, nous, femmes de toutes conditions, avons pris conscience de notre oppression et sommes résolues à nous unir pour lutter, à prendre en main notre libération ».
Si dans les années 70, les femmes militantes ont réussi à unir plusieurs groupes pour créer le MLF, pourquoi n’y arrivons-nous pas vraiment aujourd’hui ? Peut-on vraiment se contenter de quelques hashtags estampillés sur toute la Toile pour dire « Je suis Femme » et se revendiquer féministe ? Sans lâcher notre wonderbra et nos bandes de cires naturelles, a-t-on encore des causes à défendre qui valent la peine que l’on dépasse les esprits de chapelle pour se recentrer sur l’essentiel ? Pas la prise de pouvoir. Pas uniquement la liberté de pouvoir se balader en mini-jupe sans se sentir harcelée. Pas uniquement supprimer la promotion canapé que l’on focalise sur nos pauvres petites stars d’Hollywood alors que tant d’autres y ont eu droit dans le cadre de leur entreprise. Plus loin que le féminisme, la simple liberté de vivre avec les mêmes droits, et les mêmes devoirs, que les hommes donc. Y a-t-il vraiment une revanche à prendre ou seulement un juste équilibre à trouver ? Faudra-t-il un jour avouer que tout ça n’était qu’un grand mirage ? Attendons les remous…

Un féminisme cosmétique, et après ?

En tout cas, si (r)évolution il y a, elle ne viendra pas forcément du Net ! Après avoir crié avec les louves, les comptes Instagram qui comptent le plus de followers femmes… ce sont bien les tutos maquillages, les vernis à ongles, les fringues, les accessoires… Bref, la mode et les soldes, quoi ! Un féminisme girly dont les paillettes et les couches de fond de teint détourneraient les femmes des vrais questionnements de notre époque ? Quand on voit le prix du maquillage, on se dit que pas forcément ! Et puis quoi ? Pourquoi choisir ? On ne pourrait donc pas aimer la mode et être féministe ? Si votre réponse est « non », votre raisonnement est largement daté.

Après tout, personne ne peut reprocher à Emma Watson, véritable égérie féministe du 21e siècle (voir notre portrait page 40), de s’habiller avec un sac à patates et de laisser ses boutons apparents. Ce n’est pas parce qu’on aime les talons de 10 cm et le fard à paupières que l’on doit se ranger dans la case « antiféministe » ! C’est aussi cela la libération et l’émancipation de la femme, non ? Avoir le choix de sortir avec ou sans poil !

Marseille, France – 24 novembre 2018 : manifestation contre la violence à l’égard des femmes. © Gérard Bottino / Shutterstock.com

 

 

Beyoncé est-elle féministe ?… et autres questions pour comprendre le féminisme , Éditions First

Où sont les femmes dans les livres d’histoire ? Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de femme présidente ? Que faire si j’ai été harcelée en ligne ? Ce livre de 200 pages de Margaux Collet et Raphaëlle Rémy-Leleu (association Osez le féminisme !) se veut exhaustif et passe en revue de très nombreux sujets qui ont marqué l’actualité de ces dernières années et notamment le fameux mouvement #MeToo. Un livre coloré, illustré par la dessinatrice Diglee et qui se veut « une introduction au féminisme pensé en direction des jeunes, mais qui peut s’adresser à un public beaucoup plus large de personnes qui ne sont pas très au fait des questions féministes ».

 

Les féministes : à quoi pensaient-elles ?, sur Netflix

À travers des photos témoignant du réveil féministe des années 1970, ce film explore la vie de femmes de cette époque et l’actualité de leur mobilisation. Grâce au documentaire, vous comprendrez que les luttes du passé pour l’égalité restent encore et toujours d’actualité. Le documentaire réalisé par Johanna Demetrakas redonne la parole à des personnalités des années 70 qui racontent leur enfance, leurs engagements, et la société dans laquelle elles tentaient d’évoluer.

 

RTL Girls

Malgré son nom un peu cucul la praline, il faut le dire, cette page web de la radio RTL est une mine d’informations et d’actualités sur les femmes. On y parle égalité, société et sexualités au pluriel, mais aussi de ces femmes qui font le 21e siècle, qu’elles soient sportives, militantes ou plus dans l’ombre.
https://www.rtl.fr/girls

 

 

 

La planète ma chatte !

24 novembre 2018. En France, plusieurs dizaines de milliers de femmes et d’hommes répondent à l’appel d’un nouveau collectif #NousToutes à la veille de la journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes. Le vrai combat du 21e siècle est lancé. Le violet sera la couleur retenue (un choix discutable…). «Ras le viol». «Qui ne dit mot ne consent pas». «La planète ma chatte : protégeons les zones humides». «La correspondance entre ta main et mon cul n’est pas assurée», etc. Voici quelques-uns des slogans hauts en couleur et non dénués d’humour qui fleurissent le long des parcours dans toute la France. « Féministes, tant qu’il le faudra ! » Dans cette foule, environ 100 000 personnes dont 30 000 à Paris, des femmes en colère, des milliers de victimes de viol, de harcèlements et Muriel Robin, qui avait réuni plus d’un millier de femmes à Paris en octobre contre les violences conjugales. Parmi les féministes, une majorité de femmes, mais aussi de nombreux hommes, parce que le mouvement n’a pas de sexe. Ce n’est pas un combat des femmes contre les hommes, mais un combat des hommes et des femmes, ENSEMBLE, contre les inégalités. Les vrais hommes sont aussi féministes. Ce mouvement entend passer rapidement maintenant du témoignage à l’action. N’oublions pas que même si notre président Emmanuel Macron a en ce moment d’autres gilets jaunes à fouetter, il a tout de même fait de l’égalité femmes/hommes une « grande cause du quinquennat ».

 

Plus loin que le féminisme, la simple liberté de vivre avec les mêmes droits, et les mêmes devoirs, que les hommes.

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