Le porno éthique ou féministe, ça existe ?

Regardez-vous du porno ? Non, ne rougissez pas si c’est le cas. Les femmes aussi ont parfois besoin d’un coup de pouce pour dégripper la machine à orgasme. Les vraies questions sont : vous retrouvez-vous dans le porno ? Est-ce vraiment écrit pour les femmes ? Existe-t-il un porno féministe ?
Par G. Perrier

 

Tout comme Dallas et JR Ewing, le monde du porno est un univers impitoyable. Si les coulisses des tournages étaient plutôt secrètes au temps de la VHS de papa, il n’en est rien aujourd’hui, où des histoires glaçantes nous parviennent via les réseaux sociaux et les sites d’information. Des actrices qui ne sont pas prévenues par le réalisateur de ce qui va se passer, le harcèlement des « fans », l’aspect « à la chaîne » de certaines maisons de production… Si les hommes connaissent bien sûr des problèmes dans le porno, les femmes, elles, sont bien plus touchées. À l’image d’August Ames. Âgée de 19 ans quand elle commence, elle tourne plus de 290 films en quatre ans. Très appréciée par les internautes, Ames est particulièrement active sur les réseaux jusqu’en 2017, année où elle refuse de tourner avec un acteur ayant joué dans des films homosexuels. Elle subit alors un flot d’injures sur Twitter et décide de mettre fin à ses jours. Pour Fabien*, ce fut comme un électrochoc. « J’ai été un très gros consommateur plus jeune, j’avais diminué depuis. Je me définis comme féministe et pourtant je consomme du porno qui est à 95 % (99 % ?) une machine qui détruit les femmes. Quand August Ames s’est tuée, broyée par le système – comme tant d’autres – j’ai décidé de ne plus regarder. »

 

Les femmes aussi ont parfois besoin d’un coup de pouce pour dégripper la machine à orgasme.

 

  • « Une machine qui détruit les femmes »

Fabien a raison sur ce point. August Ames n’est pas la seule à avoir subi. Dans de nombreux reportages, des journalistes infiltrés nous apprennent que les réalisateurs adorent filmer la surprise sur le visage des actrices, « une recherche de l’authenticité » soi-disant. Sodomie non consentie, claque violente sur les fesses… les expériences sont nombreuses à ce sujet et les langues se délient. Seulement voilà, le porno est aussi une industrie « utile » pour beaucoup, un moyen de relâcher la pression. Comme l’explique Joanna*, consommatrice, « le porno, c’est fait pour soulager, c’est mécanique ».

Faut-il pour autant s’empêcher d’en regarder à la vue des conditions déplorables du tournage ? Est né alors le porno éthique et le porno féministe, deux styles plus ou moins semblables, mais pas en tout point. Le premier a pour ambition le plaisir des acteurs, le respect de l’autre. Il est féministe dans le sens où il respecte autant l’acteur que l’actrice. Chacun doit y trouver son compte et « jouir » d’une vraie reconnaissance en tant qu’être humain

  • Le porno vu par les calédoniennes

Lancé par Ovidie, le porno féministe rejoint les valeurs du porno éthique mais est dirigé, en plus, vers le plaisir des femmes, comme l’explique l’actrice Romy Furie Alizée sur France Inter : « c’est un petit peu de pornographie qui remet au premier plan la sexualité des femmes, qui met en lumière les orgasmes féminins ».
En recherchant sur Internet, on trouve donc un filon sur ce thème, avec des films de sa créatrice mais aussi d’Erika Lust, qui joue notamment beaucoup sur l’esthétique dans ses films. Et ça marche sur certaines femmes comme Carole*, par exemple. « C’est mon mec qui m’a fait découvrir Lust notamment. Ça a l’avantage d’être plus esthétique, plus suggestif et moins… gynécologique. Donc en effet, je pense que les femmes sont plus attirées par ce type de porno. Après, je ne pense pas que les hommes adhèrent pour la plupart, c’est assez ‘‘ culcul ’’ sans mauvais jeu de mot. »
Pour autant, même si ce porno est plus dirigé pour plaire aux femmes, Carole ne peut pas vraiment parler de « féminisme. Ça reste une industrie, donc je ne peux pas parler de militantisme dans ces films. »
Joanna a décidé d’en regarder pour se faire sa propre idée, mais finalement, « c’est du pignolage dans tous les sens du terme ; au final, on essaie d’intellectualiser quelque chose d’assez animal. Aujourd’hui, plus ça va, plus j’ai du mal à regarder du porno, de l’image qu’il véhicule, même dans les films dits féministes. Je pense que le plus important, c’est d’être à l’écoute de son corps et de se ré-accaparer son plaisir. J’ai commencé à en regarder pour m’émanciper du patriarcat, de l’interdit, du tabou. Pourtant, le porno est le symbole même de tout ce que je combats et je m’en rends compte aujourd’hui à 30 ans. »

 

  • La sexualité des femmes : non ce n’est pas un mythe

Cela dit, le porno féministe a le mérite de concentrer « l’intrigue » autour du plaisir féminin, l’occasion peut-être pour les hommes d’apprendre à faire plaisir à leurs compagnes et détruire aussi les croyances induites par le porno mainstream. « Je suis fatiguée de voir toutes les fausses idées que véhicule le porno. Les litres de sperme, les pénis gigantesques, les soi-disant jouissances des acteurs/actrices, les positions ultra-compliquées, déplore Vanessa. Je ne suis pas non plus une grande fan des films de Lust ou de Candida Royalle, mais je dois admettre qu’au moins, il y a plus de bons sens dans leurs projets, que les femmes ne sont pas que des poupées que l’on peut utiliser jusqu’à l’usure. Et si les hommes doivent apprendre leur sexualité quelque part, je préfèrerai que ce soit dans les films féministes que chez Jacquie et Michel. »

Peut-on donc lier le porno au féminisme ? Remettre la femme au centre ou au moins au même niveau que l’homme, c’est finalement du bon sens avant tout. Ce n’est pas forcément du féminisme. Comme le disait Carole, le porno reste une industrie, éthique, féministe ou mainstream.

Peut-on regarder du porno en étant féministe ? Bien sûr que oui ! Nos envies dans la chambre à coucher ne sont pas forcément le reflet de nos combats dans les rues. Les deux ne sont pas antithétiques. En revanche, regarder du porno éthique ou féministe, c’est dire « stop » au travail dégradant parfois subi par les acteurs dans cette industrie. Il y a une alternative et c’est tant mieux !

*Les prénoms ont été changés.
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