Slow life, éloge de la lenteur

« En retard, je suis en retard », s’écrit constamment le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles en consultant sans cesse sa montre à gousset.

Sommes-nous tous devenus des lapins blancs, pressés, en retard, traversant la vie de plus en plus vite ?

Et si au contraire, on choisissait de ralentir, de prendre le temps, comme nous y invitent les adeptes, de plus en plus nombreux, d’un courant d’opinion baptisé « Slow ». Et si vous ralentissiez ?

Par V. Mézille

Pourquoi sommes-nous si pressés ? Pourquoi vouloir en faire plus chaque jour ? Pourquoi surcharger nos agendas ? Peut-être parce que le culte de la performance sur tous les fronts est valorisé : travail, couple, famille, vie sociale… Et pourtant. Le nombre croissant de dépressions ou de burn-out l’atteste : la vitesse épuise et rend malade. Alors, si on disait STOP ?

Il y a dix ans, un petit groupe de Canadiens décide que le 21 juin sera la Journée internationale de la lenteur. L’idée du Slow se décline désormais dans toutes les sphères de notre quotidien, depuis l’alimentation jusqu’à la sexualité. Or, plus que d’une mode, c’est de nos besoins profonds qu’il est question.

Il suffit parfois de peu pour faire une différence réelle

Alors, pourquoi continuer à accélérer ? Carl Honoré, l’auteur à succès d’Éloge de la lenteur et l’une des figures emblématiques du mouvement Slow, privilégie la qualité à la rapidité. Il le confirme : ralentir peut conduire à un véritable « tremblement de terre culturel ». Et cet apprentissage commence très tôt. Ne plus dire « dépêche-toi ! » à nos enfants pourrait bien être la clé du mieux-vivre pour tous. Reste la grande question : comment faire ?

Ralentir exige de la discipline

Conditionnés que nous sommes depuis tout petits à enchaîner les activités et à surtout ne jamais rester sans rien faire — ne dit-on pas que « l’oisiveté est la mère de tous les vices » ? –, comment ralentir ? Comment prendre le temps de marcher, d’admirer un paysage, de faire une sieste, de regarder pousser une plante ? Comment prendre le temps de ne rien faire ? Comment s’autoriser à ne rien faire ?

« Mon Général, est-ce que vous savez ne rien faire ? » demande André Malraux à Charles de Gaulle. « Demandez au chat ! Nous faisons des réussites et des promenades ensemble. Il n’est facile à personne de s’imposer une discipline d’oisiveté, mais c’est indispensable. La vie n’est pas le travail : travailler sans cesse rend fou. Et vouloir le faire est mauvais signe : ceux de vos collaborateurs qui ne pouvaient se séparer du travail n’étaient aucunement les meilleurs. »*

Résistez à ceux qui vous font culpabiliser de ne rien faire

À l’heure du numérique où nous sommes en permanence en action, ralentir exige donc une véritable volonté, une discipline, voire une stratégie à élaborer et à mettre en place. Il faut savoir ne plus répondre aux constantes sollicitations, savoir débrancher. Savoir aussi organiser son agenda et son travail différemment. Faire des choix, ne pas vouloir à tout prix voir tous les films, toutes les expos. Et savoir résister à tous ceux et celles qui vont vous faire culpabiliser de ne rien faire, de ne pas tout faire, d’en faire moins.

Ralentir s’apparente, pour les adeptes du Slow, à une discrète sagesse. Elle donne une disponibilité face aux événements et une aptitude à ne pas vouloir tout contrôler. Ce sentiment permet de renouer avec un certain bonheur, celui de jouir du moment présent. Et donc d’être plus présent à soi-même.

* Les chênes qu’on abat…, André Malraux, Gallimard, 1971

Comment ralentir la cadence ?

Observer et prendre conscience de son propre rythme

Avez-vous remarqué combien parfois nous nous emballons et accélérons le pas pour aller plus vite, sans même parfois nous en rendre compte ? Ne vous est-il jamais arrivé de vous surprendre à courir alors même que rien ne l’exige ? Pourtant, dans certains cas, il suffit tout simplement de ralentir un tout petit peu le rythme pour ne plus avoir en permanence cette sensation de courir.

Se lever dix minutes plus tôt pour moins se presser le matin avant de partir, quitter son travail cinq minutes plus tôt pour marcher au lieu de courir pour aller chercher son enfant à l’école, manger un peu moins vite en prenant le temps de savourer son repas, boire en conscience, s’arrêter deux minutes pour respirer calmement…

Il suffit parfois de peu pour faire une différence réelle dans notre ressenti d’accélération et d’urgence. Prendre conscience de son propre tempo, sans jugement, au fil de sa journée, permet déjà de prendre de la distance vis-à-vis des diktats de la vitesse. Pour y parvenir, il vous suffit tout simplement d’être attentifs. Quoi que vous fassiez, au travail, à la maison, dans vos déplacements, en cuisinant, quand vous vous occupez de vos enfants, quand vous vous levez le matin, quand vous vous couchez, efforcez-vous de prendre conscience du rythme avec lequel vous accomplissez vos gestes. Il n’est même pas (encore) question de les ralentir. Observez. Prenez conscience, notez intérieurement, ne vous jugez pas et poursuivez naturellement votre route.

S’octroyer chaque jour 5 minutes de silence

Radio, TV, parfois les deux en même temps, Internet, musique, bruits extérieurs, cris dans la maison, le bruit est partout. Il est d’ailleurs devenu un facteur de stress très important. Voici un exercice à portée de chacun qui vous permettra d’expérimenter le silence chaque jour et de reposer votre mental. Simplement.

Éteignez la télé, éteignez la radio, désactivez les notifications sonores de vos outils digitaux, mettez votre portable en silencieux. Programmez 5 minutes sur votre smartphone si vous le souhaitez et ne faites plus rien. Ne cherchez pas à atteindre quoi que ce soit, mais simplement à apprécier, si possible, cet instant de silence. Et laissez-faire.

Repérer et respecter ses temps incompressibles

Même les plus survoltés et hyperactifs d’entre nous le savent : la vie, dans certains cas, a besoin de temps. Tout simplement. À ce propos, Delphine Ernotte-Cunci, directrice exécutive d’Orange France, se confiait dans une interview au magazine CLES : « Il s’agit moins de ralentir que de prendre le temps d’imaginer de nouvelles façons de travailler. En vieillissant, j’apprends qu’il y a des temps incompressibles, en particulier dans les relations humaines. Communiquer, c’est compliqué. Pour bien se comprendre, il faut du temps. Considérés par certains comme inutiles, le débat, la concertation, l’interrogation collective sont en fait incontournables. »

Quels sont vos « temps incompressibles », ceux sur lesquels vous ne souhaitez pas, ou plus, négocier, rogner, parce qu’ils sont importants pour vous, qu’ils font sens pour vous et qu’ils méritent toute votre attention et votre temps ?

 

 

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