Le retour des pudibondes

L’affaire #MeToo, le mouvement #NousToutes vont-ils plonger le monde des femmes dans celui de la pudibonderie ? Des seins qui disparaissent. Des jupes qui se rallongent et le retour des maillots une pièce short intégré sont-ils les signes précurseurs de nouveaux carcans pour la femme plutôt que de libération ? Mort du féminisme annoncée ?
Par C. Idoux

 

En juin 2016, quelques jours après la finale du Super Bowl et du « Nipplegate », trois Américaines ont décidé de profiter de la plage dans le New Hampshire, en violation d’une règle locale… Seins nus, elles ont écopé d’une amende de 100 dollars avec sursis et la Cour Suprême du New Hampshire vient de confirmer la peine. Problème, Heidi Lilley, l’une des accusées, n’a pas l’intention de s’arrêter là et s’estime au même titre que les deux autres femmes, victimes de discrimination en raison de leur sexe. Elle envisage maintenant de saisir la Cour suprême des États-Unis, rien que ça.
L’hypersexualisation des seins est une nouvelle fois sur le devant de la scène aux États-Unis. S’agit-il d’une loi d’un autre âge ou l’Amérique de Donald est-elle vraiment pudibonde ? Le « Nipplegate » répond à la question avec le tollé provoqué par la prestation, torse nu, du chanteur de Maroon 5. Même les hommes n’ont plus le droit de montrer un petit téton ou deux !
Plus d’un an après le lancement du mouvement #MeToo, la notion de séduction est à la dérive. Quelle est la limite ? Les hommes ont-ils encore le droit de nous draguer, même discrètement ? En France, la pudeur est aussi de retour. Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui est indécent ? Les femmes se déclarent de plus en plus pudiques, et les hommes se disent « sursaturés » d’images de nus. Mais qui va-t-il rester pour défendre les défilés de lingerie et de Miss ?

Neutralisation du corps… et des esprits ?

Sur la Toile comme dans la rue, les Kim Kardashian dans leur tenue ultramoulante se multiplient. Mais le message est clair : regarde-moi, mais ne me touche pas. Il s’agit donc d’être sexy et féministe, quelque chose entre la harpie des faubourgs en chasse contre le moindre string et l’édulcorée dont la jupe se résume à une ceinture. Un côté «  sur le fil du rasoir » qui n’est pas si difficile à atteindre selon l’historienne Aileen Ribeiro, auteure de l’ouvrage Dress and Morality. Dans un entretien accordé au magazine Le Temps, elle explique que « les féministes, dans le passé, ont décrié la mode comme une hérésie élitiste. De nos jours, le féminisme est plus nuancé même s’il y a toujours un courant qui ne tolère pas la provocation délibérée de certains designers. »
À l’opposé de l’extra moulant, le courant de la mode modeste qui répond aux normes de la pudeur répond surtout aux dogmes religieux dans de nombreux pays comme l’Amérique mormone et les États du Moyen-Orient. Une mode pour le moins… couvrante que l’on retrouve aussi en Europe, mais qui dépasse les courants religieux. Ne dites pas que vous êtes passés à côté du retour en force du tissu liberty et de la maxi-robe qui neutralise le corps. Le styliste Hedi Slimane en a récemment fait les frais en proposant une collection de micro-robes jugées dégradantes. Pour Laurence Benaïm, journaliste et écrivaine, il ne s’agit-là que d’un climat « bien pire qu’au temps où les clientes d’Yves Saint Laurent étaient conviées à enlever leur pantalon, jugé décadent » (sur son site Stiletto.fr). L’après #MeToo marque-t-il le temps de cacher ses gambettes ? Seul avantage : celui de ne pas devoir s’épiler toutes les deux ou trois semaines !

Un climat puritain

Mais l’industrie qui en fait le plus les frais est celle de la publicité. Il faut dire qu’elle a eu plusieurs décennies pour faire de la femme un objet à la fois sexuel ou le robot de la cuisine. La parfaite ménagère qui ponctuait les sondages des feuilletons niaiseux de l’après-midi a bien changé et c’est elle qui donne désormais le « La » en partant à la chasse aux publicités sexistes et mensongères. Soyons sérieuses ! Est-ce que l’on se pointe toutes à la station-service en deux pièces bikini pour nettoyer sa voiture avec ses fesses et ses nibards ? Non ! Alors inutile de continuer à nous vendre du yaourt nature en léchant la cuillère.

Défilé Victoria’s Secret. Depuis le mouvement #MeToo la marque refuse de changer de cap sexiste et de corps parfaits. Un parti pris qui lui vaut une baisse vertigineuse de son chiffre d’affaires ces deux dernières années. © FashionStock.com / Shutterstock.com

Les marques l’ont bien compris, mais semblent vouloir désormais se noyer dans la pudibonderie. Pour attirer les consommateurs, les annonceurs ont jusqu’alors toujours utilisé le sexe dans leur publicité. Même si elle est magnifique, on s’interroge encore sur une Charlize Theron toute d’or vêtue marchant à poil avec l’allure d’une gazelle épileptique sortant d’un orgasme après avoir reniflé son nouveau parfum, façon cocaïne. On t’aime Charlize, mais perso on préfère les perles et les bijoux que tu lâches à chaque pas de gazelle plutôt qu’un parfum qui risque bien de tourner.
Le « sex marketing » ne date pas d’hier. Il a même été lancé par l’industrie du tabac au 19e siècle. La marque américaine Pearl Tabacco affichait alors une jeune fille dénudée sur l’emballage de ses paquets de cigarettes. La révolution sexuelle des années 50 et le début des années 80 ont marqué une nouvelle rupture de l’image de la femme avec l’apparition des mini-jupes extracourtes et du bikini.
Ainsi, depuis les années 80, annonceurs et publicitaires se sont largement lâchés dans des spots où les femmes se montrent souvent dénudées et dans des positions lascives. De l’humour plus ou moins graveleux en veux-tu en voilà… jusqu’à faire de la sexualisation de la femme quelque chose de banal.

L’ordre et la morale ?

Aujourd’hui, les marques reculent. À commencer par Aubade, pourtant coutumière de jolies paires de fesses pour ses publicités. La dernière en date, affichée en version façade de quatre étages sur les Galeries Lafayette à Paris, a provoqué sur Twitter l’ire de l’élue parisienne Hélène Bidard (PCF), adjointe chargée de l’égalité femmes-hommes, évoquant la vague #MeToo… Un peu exagéré, non ? Pourtant, la mairie de Paris a voté l’année dernière l’interdiction de publicité sexiste et/ou discriminatoire sur les panneaux de la capitale.
Sur Facebook, tout le monde sait qu’il ne fait pas bon montrer ses seins, ou même un seul. Mais la pudibonderie va plus loin en interdisant purement et simplement le tableau de Delacroix et sa Marianne dénudée (La Liberté guidant le peuple).
Cinéma, photo, publicité… Depuis #MeToo, on ne semble plus tolérer certaines représentations de la femme. Pour Agnès Grossmann, auteure de Le Monde avant #MeToo, « nous sommes tous victimes du machisme. Mais les femmes le sont plus que les hommes. Notre société est construite sur le regard et le désir masculin. Un regard exigeant sur le physique des femmes. #MeToo dénonce avant tout l’abus de pouvoir, le droit de cuissage. Ce n’est pas une remise en cause de la gaudriole ou de la galanterie à la française. »
Et si l’on acceptait plus simplement que les féminités sont plurielles. Qu’au même titre que les religions, chaque courant féministe joue sur ses propres codes et qu’on doit trouver des passerelles pour travailler ensemble à la condition féminine sans pour autant se priver de son droit à penser différemment de sa voisine de bureau et ne pas lui planter une agrafeuse dans son décolleté plongeant façon Mariah Carey. Restez calmes ! Mangez un yaourt !

 

À Lire
Le monde avant # MeToo, à travers 100 images pop culture décryptées, Agnès Grossmann, Hors Collection

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