Le tatouage dans la peau

Comme la photographie, le tatouage fige des souvenirs. C’est une aide psychologique parfois. L’affirmation de soi, de son histoire et de son identité. De vulgaire à sublime, le tatouage féminin a marqué son époque et son évolution. Celui que l’on voulait encore cacher hier, peut aujourd’hui se révéler au grand jour. Se faire tatouer, c’est l’expression de soi-même. Ce que le tatouage dit de nous.

Des locks mi-longues et le sourire timide, Emi Dedeine est une artiste dans l’âme. Après avoir participé à de nombreux festivals pour créer des décorations incroyables, elle se lance dans le tatouage, un peu comme une extension de ce qu’elle a toujours fait : de l’art. Aujourd’hui, « je ne décore non plus les soirées mais les corps. Du simple tatouage décoratif au tatouage lourd en symbole. Les gens se tatouent souvent à des périodes de transition, familiales, personnelles ou professionnelles, mais j’ai aussi servi de « peau d’entraînement » pour des collègues et moi-même, et certains ne représentent vraiment rien du tout ! »
Se faire tatouer est pourtant une étape-clé dans la vie, surtout pour les femmes. Dépasser la peur du préjugé social ou plus simplement le désir personnel de renouveau. « Au moment de mon divorce, je n’avais qu’une envie, effacer celle que j’étais, avoue Isabelle. Et puis le tatouage, mes parents me l’avaient toujours interdit. Mon mari aussi. Cela faisait « sale ». C’était laid. Bref, c’était tabou. Même Miss France n’y avait pas droit ! J’ai fait mon premier tatouage, un papillon discret sur l’épaule, à 42 ans ! Aujourd’hui, j’ai rempli mon avant-bras droit et j’ai hâte de passer à la jambe ! J’écris mon histoire, je choisis des motifs variés, autant dans la tradition maorie qu’européenne. Qu’importe ! Ils ne me définissent pas complètement, mais je me sens plus complète avec eux. »


De vulgaire à sublime

En Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, pour une femme tatouée, voire abondamment tatouée, les commentaires ne sont pas toujours flatteurs. Pas féminin. Dégradant. Barbare. Pas classe… Si l’on accepte un petit tatouage à droite à gauche « en mode discret, comme un bijou, quoi ! », c’est déjà plus compliqué de partir dans une composition plus importante. Une affirmation qui fait rire Claire, tatouée à 60 %. « J’ai commencé à 16 ans ! Okay, mes parents étaient tatoués eux aussi mais je suis allée bien plus loin. Cela ne m’empêche pas aujourd’hui de travailler dans une banque. Je ne pense pas que cela m’ait vraiment freiné dans la progression sociale. C’est sûr que c’était plus accepté et acceptable finalement quand je travaillais à Nouméa. À Paris, je sens que parfois je choque un peu, surtout ma jolie tête de mort sur mon avant-bras ! »
À l’époque victorienne, le tatouage est visible sur les bras des marins et des criminels, ainsi que chez certaines femmes issues des milieux populaires et jugés mal fréquentés. Souvent jugés de mauvais goût, symboles avant tout de virilité, ces dessins indélébiles sont considérés comme « anormaux » pour les femmes, et tout juste tolérés dans les « freak shows », comme Maud Arizona, surnommée Suluka la merveille tatouée. Les femmes tatouées sont aussi filles de joie et leurs jupons cachent cœurs, colombes et fleurs dessinés pour la plupart par leur mac !
Ce n’est que plus tard, grâce aux communautés antisociales, que le tattoo est devenu un signe de protestation et de rébellion. Les bikers et les punks en font l’un des éléments clés de la culture rock. Dans l’esprit populaire, s’ils insufflent toujours un brin de vulgarité, la fille tatouée, elle, devient transgressive, au même titre que sa coiffure et son style vestimentaire. En 2018, le magazine Les Inrockuptibles a mené l’enquête : le tatouage est-il le nouveau territoire d’expression féministe ? La réponse est oui.

L’arme secrète, et non plus discrète

Comme le précise Jérôme Pierrat, rédacteur en chef de Tatouage Magazine, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet comme on s’en doute, « à mesure que sa vocation est devenue plus esthétique et moins le signe de reconnaissance de communautés marginales », le tatouage s’est rapidement démocratisé ces 15 dernières années. Plus de 4 000 studios de tatouage ont ainsi été recensés en France, contre à peine une vingtaine dans les années 80.

Aujourd’hui, pour Les Inrock-uptibles, « les femmes, qu’elles soient tatouées ou tatoueuses, osent les grandes pièces ainsi qu’une plus grande variété de styles depuis dix ans, sous l’impulsion de figures comme l’incontournable Kat Von D ». L’un des aspects les plus épineux du problème reste… le plan sexuel. Il existe déjà plusieurs études démontrant que les femmes tatouées sont vues comme plus « accessibles » par les hommes. « Je pense que c’est la simple affirmation de soi, raconte Stéphanie. C’est vrai que je me fais un peu plus draguer depuis que j’ai mes tatouages. Mais bon, ce n’est pas un appel au libertinage non plus ! Ce doit être un délire purement masculin ! » Pourtant, les tatouages accentueraient le harcèlement de rue, en plus de donner un prétexte pour aborder la personne. Au point qu’il y a mot pour ça : le « tatcalling » , qui fait l’objet d’un mot-clic sur Twitter. Ainsi, le tatouage qui s’affirme avant tout comme une réappropriation de son corps et émancipe les femmes peut aussi se retourner contre elles ? «  lors faisons-en une arme féministe », s’exclame Laureen, 21 ans, avec sa jolie raie manta, « un classique ! », au creux des reins.
On serait tentés de penser comme elle. D’ailleurs en France, selon une étude de l’IFOP datant de 2017, les Français sont de moins en moins réticents à se faire tatouer définitivement la peau. Sept millions d’entre eux auraient d’ailleurs franchi le pas, soit 14 % de la population. Parmi eux : une majorité de femmes.
Un vrai revirement, quand on sait qu’au début du siècle dernier, chez les femmes surtout, le tatouage était encore un détail honteux, associé à la frivolité et à une relation amoureuse passée, caché à tout prix. Les années passent et les petits tatouages ont toujours autant la cote chez les femmes, surtout pour les premières expériences. Parce qu’on aime les dessins discrets, qu’on peut le cacher facilement ou encore plus simplement parce qu’on ne souhaite pas s’engager sur un motif trop grand.

 » Le tatouage est aujourd’hui pour les femmes un moyen d’afficher ses convictions, silencieusement peut-être, mais très clairement à la fois ! « 

La troisième vague

À l’heure où la troisième vague du féminisme milite aujourd’hui pour l’acceptation de tous les corps, le « body positive » s’impose aussi sur les peaux. Le tatouage est aujourd’hui pour les femmes un moyen d’afficher ses convictions, silencieusement peut-être, mais très clairement à la fois ! Le corps est alors éminemment politique. Se faire tatouer n’est plus aussi anodin que dans les années 80 et les raisons de se faire tatouer sont multiples. « Encrer » une émotion, orner le corps, se réapproprier son corps à l’aide d’un tatouage après un cancer (voir p. 38) ou plus simplement affirmer son identité. « J’ai fait mon premier tatouage de manière un peu émotionnelle ! Oui, je me suis fait tatouer le nom de mon petit ami de l’époque, sourit Anaïs. C’était un peu comme graver un souvenir et quand je me suis séparée, on m’a proposé de le recouvrir. J’ai refusé. C’était pour moi une partie importante de ma vie et j’ai eu besoin de le marquer sur mon corps, comme de le marquer dans mon esprit. » Le tatouage aurait-il pour autant perdu de son statut sacré ?

Êtes-vous sûrs de vous ?
Attention, faire un tatouage ne se décide pas sur un coup de tête, même si la pratique s’est démocratisée. Prenez le temps de vous imaginer avec, 10 à 15 ans plus tard, surtout si vous choisissez une zone voyante. Le tatouage implique aussi une certaine douleur et si vous y êtes sensibles, il faut vous y préparer. Son intensité dépend aussi de la partie du corps choisie.

La symbolique du sacré

En Nouvelle-Calédonie, il a toujours une symbolique importante, « de part les liens étroits avec la culture polynésienne, estime Emy Tattoo. Je crois que le tatouage est devenu une marque d’appartenance et, dans un certain sens, de respect de ses origines océaniennes. Les Calédoniens issus de tous milieux sont fiers de porter sur eux ce mélange de cultures qui fait la particularité de notre île. » Le mot tahitien « tatau », qui a donné tatouage, signifie « dessin de l’esprit » ou « marque divine ». Le tatouage traditionnel douloureux accentue l’idée d’un « passage intense » et significatif. Le résultat compte d’autant plus que la démarche fait mal.
Alors décoratif ou symbolique ? « Un peu des deux, estime Maeva. Mais dans ma culture, il faut être honnête. Ce tatouage que j’ai sur le bras, c’est celui de ma grand-mère ! Elle n’est plus là aujourd’hui et c’est un vrai réconfort finalement de la porter sur moi. J’ai figé son souvenir dans ma peau. Et j’en suis fière. Ma mère porte le même ! C’est un peu comme se transmettre un album de famille ! »
Le tatouage relève d’un acte intime, une écriture de soi qui n’est pas nécessairement vouée à se livrer au regard. « J’ai deux tatouages, un que je regrette et un que je chéris, explique Laura. Je les ai faits pourtant en même temps. J’étais en lune de miel en Nouvelle-Zélande. Pendant notre tour de l’île du Sud, mon mari et moi avons décidé de marquer sur notre peau cette belle aventure. Sur un coup de tête, on a choisi un tatoueur à Christchurch bien noté sur le Web et on s’y est rendus en sachant déjà ce qu’on voulait faire. Ce premier est une réussite. Pour le second, problème : ma peau absorbe mal l’encre. Mon tatouage était trop fin et ça ne ressemble plus à rien et, surtout, je n’ai plus aucune émotion quand je le vois aujourd’hui. Il n’a pas la même signification ou force que l’autre. Je me tâte de le recouvrir, j’avais pensé à faire quelque chose autour de mes enfants, mais cela veut dire un plus gros tatouage et donc je ne suis pas sûre de le vouloir. Il faut donc toujours bien réfléchir avant de passer sous l’aiguille. Je ne fais pas partie des gens qui deviennent accro après leur premier (ou deuxième) tattoo ! »

Quel tatoueur choisir ?
Pour un premier tatouage, difficile parfois de savoir vers qui se tourner ! N’hésitez pas à solliciter votre entourage, et en particulier les personnes satisfaites de leur expérience et dont vous appréciez le résultat. Si vous avez en tête un certain style, tournez-vous vers des tatoueurs spécialisés pour ne pas avoir de mauvaises surprises.

Le livre clé. Illustré par plus de 700 photographies, cet ouvrage constitue un véritable tour du monde de la discipline et invite le lecteur à découvrir les tatouages les plus talentueux, originaux ou prometteurs de la génération contemporaine.

Avez-vous bien réfléchi à votre tatouage ? 
Il existe aujourd’hui autant de modèles que de tatouages !
On peut donc se sentir perdus au moment de choisir. N’hésitez pas à parcourir des sites comme Instagram ou les salons de tatouages pour arrêter votre choix sur un motif ou une écriture. Il faut que ce dernier vous corresponde au maximum, alors fuyez les effets de mode. Assurez-vous que vous ne vous lasserez pas du dessin.
Si vous craquez pour le désormais incontournable tatouage tribal, assurez-vous de sa signification ou symbolique. Plus la démarche derrière votre tatouage sera réfléchie, moins vous serez amenés à le regretter. Dans tous les cas, donnez le plus d’informations possibles à votre tatoueur, pour que vous trouviez ensemble ce qui vous convient le plus.
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