Mon corps. Mon choix.

Le droit des femmes à disposer de leur corps est-il inaliénable ? PLUS SI SÛR ! D’après un rapport de l’ONU intitulé « Mon corps m’appartient », près de la moitié des femmes sont privées du droit à disposer de leur corps. Fin juin, les États-Unis ont fait un bond de 150 ans en arrière en retirant leur droit à l’avortement à des milliers d’Américaines. Une décision qui en dit long sur le droit des femmes à disposer de leur corps.


« ONU Femmes reste inébranlable dans sa détermination à faire en sorte que les droits des femmes et des filles soient pleinement respectés et exercés dans le monde entier. Nous attendons avec impatience de poursuivre notre engagement, fondé sur des preuves, avec nos partenaires partout dans le monde, afin de soutenir des progrès rapides vers la jouissance universelle de ces droits. » C’est par ces mots que Sima Bahous, directrice exécutive d’ONU Femmes, a répondu à la décision de la Cour suprême américaine de révoquer le droit à l’avortement pour des milliers d’Américaines. Dans une déclaration lapidaire, Sima Bahous a également précisé que « les droits en matière de procréation font partie intégrante des droits des femmes, ce qui est acté par des accords internationaux et visible dans la législation de nombreuses régions du monde ».

« Mon corps m’appartient »

Selon le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), « 50 % des grossesses dans le monde ne sont pas un choix délibéré des femmes ». Ce constat ne date pas d’hier. Il appuie également un rapport de l’UNFPA rendu public l’année dernière et baptisé « Mon corps m’appartient, revendiquer le droit à l’autonomie et à l’autodétermination ». Basé sur une enquête réalisée dans 57 pays en développement, ce rapport ne parle pas uniquement d’avortement. Ces femmes peuvent être notamment victimes de viol, de stérilisation forcée, subir des tests de virginité ou des mutilations génitales féminines. C’est la première fois qu’un rapport des Nations Unies est consacré à l’autonomie corporelle, c’est-à-dire au pouvoir et à la liberté des femmes de faire des choix concernant leur corps, sans avoir à craindre des violences et sans que des tiers décident à leur place.
À l’UNFPA, « nous soutenons les femmes et les filles dans la revendication de leurs droits et de leurs choix, et ce tout au long de leur vie. Depuis 1994, nos programmes sont guidés par le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD), qui a fait de l’indépendance des femmes et de leur autonomisation le socle d’une action mondiale en faveur d’un progrès social et économique durable. » L’UNFPA soutient également toutes celles et tous ceux qui sont régulièrement privés de la liberté de prendre des décisions autonomes au sujet de corps : les personnes d’orientations sexuelles et d’identités de genre différentes, les personnes handicapées et celles issues de minorités ethniques et raciales. « Les programmes de planification familiale que nous soutenons permettent à la fois d’accroître la disponibilité des contraceptifs et de faire tomber les obstacles limitant l’accès aux services, donnant ainsi aux femmes les moyens de disposer de leur corps. »
Cette nouvelle approche de l’agence onusienne est qualifiée de féministe par l’ONG Equipop qui travaille à faire avancer la santé et les droits des femmes et des filles dans le monde. Le rapport est surtout venu en appui à toutes les organisations féminines à travers le monde qui luttent pour une plus grande autonomisation des femmes et pour l’une de leurs libertés fondamentales : celle à disposer comme elles l’entendent de leur corps, et donc de leurs grossesses. Le rapport a aussi permis d’amorcer à l’échelle internationale les travaux du Forum Génération Égalité lancé en 2021, un rassemblement mondial pour les droits des femmes et qui s’est déroulé en France, pilote de la coalition d’action « liberté à disposer de son corps et droits et santé sexuels et reproductifs ».
Alors comment, avec tous ces dispositifs, avec des campagnes dans la rue comme #metoo, avec la volonté des pays démocratiques de faire que tous les citoyens se sentent égaux en droits, la Cour suprême des États-Unis a pu faire un bond de 150 ans en arrière ? Il n’y a pas de mystère. Tout est une question de timing. De lobbying. Et d’héritage Trump.

ELLE L’A DIT
« La capacité des femmes à contrôler ce qui arrive à leur propre corps a également un lien avec les rôles qu’elles peuvent jouer dans la société, que ce soit en tant que membre d’une famille, d’un gouvernement ou de la société civile. » Sima Bahous, directrice exécutive d’ONU Femmes

150 ans en arrière

Retour au 24 juin 2022. La très conservatrice Cour suprême mise en place par l’entremise de Donald Trump pendant ses quatre années au pouvoir annule l’arrêt « Roe vs Wade » rendu par les États-Unis et qui jusque-là permettait aux Américaines d’avorter en toute légalité. Malgré les enquêtes d’opinion montrant qu’une majorité de la population soutient l’avortement, les conservateurs chrétiens et les militants « pro-vie » remportent la bataille après des décennies de marches annuelles à Washington.
Pour le reste de l’Amérique et son président Joe Biden, c’est la douche froide. Pour l’ONU, le 24 juin 2022 devient « un jour funeste pour les droits des femmes américaines et du monde entier. La décision de la Cour suprême d’annuler l’arrêt Roe vs Wade signe la fin du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) aux États-Unis. Elle laisse les États fédéraux légiférer librement pour l’interdire ou non. » Quatre jours plus tard, huit États américains ont déjà aboli le droit à l’IVG (le Missouri, le Dakota du Sud, l’Oklahoma, l’Arkansas, le Kentucky, l’Alabama, la Louisiane et le Wisconsin). Aujourd’hui, la moitié du pays s’apprête à interdire l’IVG.
Pour Joe Biden, une loi au Congrès serait pour l’instant la « voie la plus rapide » pour restaurer le droit à l’avortement face à une Cour suprême qu’il juge « hors de contrôle », car cette dernière pourrait ne pas s’arrêter là et s’attaquer désormais au mariage gay et autres « atteintes » à l’intégrité des personnes qui sortiraient d’une conception purement chrétienne de la société.

ELLE L’A DIT
« La capacité des femmes à contrôler ce qui arrive à leur propre corps a également un lien avec les rôles qu’elles peuvent jouer dans la société, que ce soit en tant que membre d’une famille, d’un gouvernement ou de la société civile. »
Sima Bahous,directrice exécutive d’ONU Femmes
Dans le monde, plus de 60 % des grossesses non intentionnelles aboutissent à un avortement, qu’il soit médicalisé ou non, légal ou illégal.
(Bearak et al., 2020)
Les femmes ne disposent que de 75 % des droits légaux
des hommes.(UNFPA)

Manifestations et réactions

Ce que montre ce recul de 150 ans en arrière sur le droit des femmes à disposer de leur corps, c’est que rien n’est jamais acquis. Après cette remise en cause, le 7 juillet dernier, le Parlement européen a donc demandé l’inclusion de l’avortement dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Les eurodéputés réunis en session plénière ont approuvé à 324 voix pour, contre 155 et 38 abstentions. C’est désormais au Conseil européen de trancher.
En France, plusieurs centaines de manifestants sont descendus dans les rues pour défendre le droit à l’avortement, brandissant des cintres, symbole des avortements clandestins. Mais ce que les Françaises défendent, ce n’est pas que le droit à l’avortement, mais bien le droit à disposer librement de son corps. Un droit qui concerne les femmes du monde entier. Le président et le gouvernement parlent de l’inscrire dans la Constitution, même si pour l’instant, en France, ce droit symbolisé par la loi Veil est loin d’être menacé.

Pouvoir choisir

En Nouvelle-Calédonie, le droit à l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) n’est véritablement légal que depuis 20 ans. L’absence de contraception ou des accidents de contraception (oubli de pilule, rupture de préservatif) peuvent conduire à des grossesses non désirées. Certaines femmes vont préférer interrompre la grossesse en pratiquant une IVG. Toute femme enceinte, qu’elle soit majeure ou mineure, et qui ne veut pas poursuivre une grossesse, peut demander à un médecin ou une sage-femme l’interruption de sa grossesse. Il n’y a pas de condition d’âge.
Une jeune femme mineure peut ainsi choisir de demander le consentement de ses parents ou d’un représentant légal et ainsi être accompagnée dans sa démarche d’IVG. Cependant, si elle veut garder le secret vis-à-vis de ses parents et de sa famille, elle peut tout de même le faire en étant accompagnée par une personne majeure de son choix. En Nouvelle-Calédonie, les grossesses non désirées touchent essentiellement les 16-25 ans (53 %). Une femme sur 5 a recours à l’IVG (interruption volontaire de grossesse) durant sa vie.

Il L’A DIT
« La décision intensément personnelle d’avorter est désormais soumise aux caprices des politiciens et des idéologues, attaquant les libertés fondamentales de millions d’Américaines. »
Barack Obama

Un droit inaliénable et non négociable

Piétiner le droit à l’IVG, c’est nier tout simplement les droits fondamentaux des femmes, et les droits humains. Pire, l’interdiction de l’IVG ne réduit pas le nombre d’avortements, mais les rend moins sûrs pour la santé des femmes. Ainsi, plus de 60 % des grossesses non intentionnelles dans le monde aboutissent à un avortement. 45 % des avortements sont pratiqués dans des conditions dangereuses, ce qui en fait une des principales causes de décès maternels (UNFPA, 2022).
Ce net recul des droits des femmes aux États-Unis nous renvoie toutes à une condition d’objets, dont le corps est réglementé par des décisions arbitraires portées par des hommes pour la plupart, dont l’obscurantisme perdure.
Le pouvoir des femmes à prendre le contrôle de leurs corps est lié au degré d’autonomie dont elles disposent. Nous avons le droit inaliénable de choisir ce que nous faisons de notre corps. Nous avons le droit d’en disposer librement et ce droit n’est pas négociable. Notre qualité de vie en dépend. Notre vie elle‑même en dépend.

L’IVG dans le monde

Les droits en matière de procréation font partie intégrante des droits des femmes, ce qui est acté par des accords internationaux et visible dans la législation
de nombreuses régions du monde. Chaque année, 50 000 femmes meurent à
la suite d’un avortement clandestin pratiqué dans des conditions insalubres
et dangereuses. De plus, 222 millions de femmes n’ont pas accès à un moyen
de contraception moderne, ce qui explique pourquoi 50 % des grossesses
dans le monde ne sont pas désirées. Retour sur des dates clés.


1942
L’avortement est considéré en France comme « crime contre l’État » et est puni par la peine de mort.

1956
Le 8 mars, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, une jeune médecin catholique, crée la Maternité heureuse en France, association destinée à promouvoir le contrôle individuel des naissances. En 1960, la Maternité heureuse devient le Mouvement français pour le planning familial (MFPF).

5 avril 1971
343 femmes, de Catherine Deneuve à Violette Leduc, déclarent en couverture du « Nouvel Obs », avoir avorté. C’est le « manifeste des 343 ».

22 janvier 1973
La Cour suprême américaine reconnaît le droit à l’IVG comme un droit constitutionnel, se fondant sur le respect de la vie privée. L’arrêt Roe vs Wade autorise les avortements tant que le fœtus n’est pas viable — soit entre 24 et 28 semaines de grossesse.

26 novembre 1974
Simone Veil monte à la tribune de l’Assemblée et propose une loi pour légaliser l’avortement. Elle sera adoptée par 284 voix pour et 189 contre. La « Loi Veil » sera promulguée le 17 janvier 1975 pour cinq ans. Il faudra attendre le 31 décembre 1979 pour qu’elle soit rendue définitive.
En 1982
Sous l’impulsion de la ministre déléguée aux Droits de la femme, Yvette Roudy, l’avortement est remboursé par la Sécurité sociale.

En 1992
La Cour suprême américaine, dans un arrêt intitulé « Planned Parenthood of Southeastern Pennsylvania vs Casey », réaffirme le droit à l’avortement et prohibe des lois imposant des obstacles pour accéder à l’IVG.

29 septembre 2000
Le congrès de la Nouvelle-Calédonie rend légal sur tout le territoire l’avortement.

Où trouver de l’aide ?
Dans les dispensaires et autres lieux médicaux dans les trois provinces.
Autres structures : ESPAS CMP de la province Sud : 204 400
Espace de prévention d’accompagnement et de soins, Centre médical polyvalent de la province Sud CP2S – Comité de promotion de la santé sexuelle https://www.sexo.nc
CCF – Centre de conseil familial : 205 330
SOS Violences sexuelles : 05 11 11 (gratuit)
SOS Écoute : 05 30 30 (gratuit)

En 2018
L’Irlande et en 2020 l’Argentine ont enfin rendue légale l’IVG. La Colombie l’a dépénalisée jusqu’à 24 semaines en 2022 et le Chili l’a introduite dans le nouveau projet de constitution.

18 mars 2020
La Nouvelle-Zélande dépénalise l’avortement. L’interruption volontaire de grossesse était jusque-là considérée comme un délit passible de quatorze ans d’emprisonnement.

2 mars 2022
L’allongement de 12 à 14 semaines de grossesse du délai de recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est promulgué en France.
22 juin 2022
La Cour suprême américaine révoque le droit à l’avortement. La décision intervenue signifie que chaque État est désormais libre d’autoriser ou non l’avortement.

5 juillet 2022
Dans les pays en développement, près d’un tiers des femmes ont eu leur premier enfant lorsqu’elles étaient encore adolescentes. Près de la moitié de ces jeunes mères étaient en effet âgées de moins de 17 ans, et étaient donc elles-mêmes encore des enfants. (UNFPA, 2022)

2022
L’accès à l’IVG reste très inégal dans le monde. Alors qu’une grossesse sur quatre se termine par un avortement, plus de 40 % des femmes en âge de concevoir vivent dans des États aux lois restrictives. L’IVG est toujours interdite dans près d’une vingtaine de pays.

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